Chapitre VII.
Adverbes, prépositions, conjonctions.
Je range sous un même titre les adverbes, les prépositions, les conjonctions, et les autres semblables éléments du discours; parce que, selon le rang qu' ils occupaient dans la phrase, leurs fonctions changeaient quelquefois: ainsi certains adverbes, suivis du Que, devenaient conjonctions; certaines prépositions le devenaient aussi, lorsqu'elles étaient immédiatement suivies du même Que; enfin les prépositions employées d' une manière absolue, et sans soumettre un nom quelconque à leur régime, devenaient adverbes.
Dans la langue latine, Post était tour à tour adverbe et préposition, et, suivi de Quam, devenait conjonction, de même, dans la langue romane, et dans les autres langues de l' Europe latine, il était quelquefois des mots qui offraient de pareilles variétés.
A mesure que les adverbes, les prépositions et les conjonctions passèrent de la langue latine dans la nouvelle langue, ils reçurent souvent l' adjonction d' une préposition romane, et notamment des prépositions A, DE, EN.
Ainsi d' Intus vint Intz, Ins, auquel fut ajouté DE, qui produisit De ins, Dins, dans; et même, par réduplication de la préposition DE, fut formé Dedins, dedans.
De Satis latin vint Satz, qui reçut l' A, et forma asatz, assez.
Versus latin fit d' abord Vers, puis Ves, Vas, vers, auxquels furent jointes les prépositions DE et EN, qui produisirent Deves, Enves, Devas, Envas, etc., etc.
Adverbes.
J' ai établi cinq divisions au sujet des adverbes romans.
La première division concerne les adverbes terminés en Ment, désinence qu'on écrivait assez arbitrairement aussi Men, Mens ou Mentz.
Cette terminaison, qui caractérisa le plus grand nombre des adverbes romans, fut empruntée à une forme particulière, qu'on trouve dans la plupart des bons auteurs latins, laquelle consistait à employer, comme locution adverbiale, l' ablatif absolu Mente, en y joignant l' adjectif, qui recevait par cette forme un caractère d' adverbialité.
Mente latin étant féminin, l' adjectif roman auquel il fut joint pour former un adverbe, prit nécessairement la terminaison A, qui appartenait au genre féminin: tels que finament, finement, solament, seulement, verament, véritablement, formés des adjectifs Fis, Fina; Sol, Sola; Ver, Vera, etc.
Quand l' adjectif était commun et conséquemment n' avait qu'une terminaison pour les deux genres, cette sorte d' adverbe ne se forma pas moins en ajoutant Ment à cet adjectif, comme Coral, cordial, Humil, humble, etc., qui produisirent: coralmen, humilmen.
Lorsque plusieurs adverbes en Ment se trouvaient à la suite les uns des autres, cette finale, au lieu de s' attacher à chaque adjectif, pour lui imprimer le caractère adverbial, ne se plaça qu' après le dernier: Parlem suau e planamen, parlons doucement et franchement; et quelquefois qu' après le premier:
Pregar humilmen e lialh e devota, prier humblement et loyalement et dévotement.
Les adverbes en Ment étaient quelquefois précédés d' une préposition:
EN breument, en bref.
La seconde division des adverbes romans comprend ceux dont la terminaison n' était pas spéciale, soit qu' ils fussent dérivés du latin, par la suppression de la désinence, comme Ben, bien de Bene, Pauc, peu de Pauce, etc., soit qu' ils eussent été formés extraordinairement par la langue romane elle-même, qui les avait appropriés à ses besoins, tels que:
Petit, peu, Trop, beaucoup, etc.
La troisième division s' applique aux adjectifs employés neutralement en forme d' adverbes: Gen fui per vos honratz, gentement fus par vous honoré; ils prenaient des prépositions: En escur vauc com per tenebras, en obscur (obscurément) vais comme par ténèbres.
La quatrième division indique la forme romane qui consistait à employer souvent substantivement plusieurs de ces adverbes, lesquels devenaient alors sujets ou régimes, et même recevaient l' article qui s' attachait aux substantifs et servait à les distinguer: Del plus serai sofrire, du plus serai souffrant: Al pis tost que poc, au plus tôt que put.
Enfin la cinquième division est relative à l' usage des locutions adverbiales;
Al meu albire, à mon avis, mon escien, à mon escient, mal mon grat, malgré moi, etc., etc., dont l' explication appartient spécialement au lexique roman.
Prépositions.
Les prépositions de la langue romane se formaient souvent d' un adverbe,
surtout par l' adjonction d' une particule qui leur imprimait le caractère et
la fonction de préposition; elles devenaient adverbes à leur tour lorsqu' elles étaient employées sans régime, et enfin elles devenaient aussi conjonctions quand elles étaient suivies d' un signe ou d' une particule qui leur permettait de servir de lien entre les membres de la phrase, ou entre les phrases mêmes.
Les formes romanes, à l' exemple de la langue latine, assujettissaient en
général le substantif ou le nom employé substantivement, après une préposition, à prendre le signe qui exprimait et caractérisait le régime; de même, comme dans le latin, la langue romane joignit souvent à ses verbes, et même aux substantifs et aux adjectifs, une préposition antécédente, qui quelquefois se confondait avec ces noms, et d' autres fois y était seulement adhérente, mais sans les soumettre eux-mêmes comme régimes; car alors ces prépositions devenaient en quelque sorte des adverbes:
sobrafan, sur-chagrin, sobretemer, sur-crainte.
Il est toutefois à remarquer que la préposition incorporée ou adhérente n' empêchait pas, soit le substantif, soit le nom qui en faisait la fonction, de prendre le signe du sujet: sobretemers me fai languir, sur-crainte me fait languir, per sobretemer vau defailir, par sur-crainte vais défaillir.
Remarque. La préposition DE était souvent supprimée devant les noms propres: Jaufre lo filh ... Dovon, Jaufre le fils (de) Dovon; cette suppression avait également lieu parfois devant des substantifs qui expriment des noms propres génériques, qualificatifs: lo servici ... Nostre Senhor, le service (de) Notre Seigneur.
De même, on disait: Lo filh … lo rey, le fils (du) roi, li efan ... lo comte,
les enfants (du) comte.
Conjonctions.
Presque toutes les conjonctions romanes furent formées par l' adjonction du QUE indéclinable, qui était parfois sous-entendu.
Je me bornerai à quelques observations sur les particules.
La langue romane adopta ET, conjonction latine, mais au-devant des mots qui commençaient par des consonnes, le T final fut généralement supprimé.
NI fut à la fois particule conjonctive signifiant ET, et particule disjonctive avec le sens de NE, mais dans cette seconde acception il y avait toujours dans la phrase la négation Non, tandis que, dans la première, cette négation ne s' y trouvait jamais.
SI NON, sinon, fut employé de deux manières: la première, en conservant rapprochées ces deux particules pour en faire un seul mot, Sinon;
la seconde, en les séparant, mais alors si fut toujours placé le premier:
non ho dic SI per ver NON, ne le dis sinon pour vrai.
Pour augmenter la force de la négation non, la langue romane y joignit souvent des particules explétives telles que gaire, ges, mia, pas, res.
Enfin celle langue eut aussi de ces particules, employées dans un sens absolu, qu'on nomme interjection, exclamation, et qui servent à exprimer les sentiments de surprise, de douleur, d' admiration, etc., telles que Ai! ah! Las! Hailas! las! hélas! etc.
Il me resterait maintenant à parler des nombreuses locutions particulières que créa l' idiome roman, et dont la plupart se retrouvent dans ceux de l' Europe latine, mais comme je ne pourrais en donner ici qu'une énumération incomplète, je préfère à ce sujet renvoyer au Lexique, qui présentera d' ailleurs sur chaque mot des détails et des exemples propres à faire mieux connaître et apprécier les formes et le génie de la langue romane.
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