Chapitre VII.
Adverbes, prépositions, conjonctions.
Je range sous un même titre les adverbes, les prépositions, les conjonctions, et les autres semblables éléments du discours; parce que, selon le rang qu' ils occupent dans la phrase, leurs fonctions changent quelquefois: ainsi certains adverbes, suivis du QUE, deviennent conjonctions; et certaines prépositions le deviennent aussi, lorsqu' elles sont immédiatement suivies du même QUE; et enfin les prépositions employées d' une manière absolue, et sans soumettre un nom quelconque à leur régime, deviennent adverbes.
Ces rapports intimes ont été cause de l' embarras que plusieurs grammairiens ont éprouvé, quand ils ont voulu classer ces divers éléments du discours.
Dans la langue latine, POST était tour-à-tour adverbe et préposition, et, suivi de QUAM, devenait conjonction. (1)
(1) Adverbe. "De Capitone POST viderimus." Cic. pro Sex. Rosc. Amer. 30.
Préposition. Postque brevem rescribe moram. Ovidio, De Arte amandi, III v. 473.
Conjonction. Tum, POSTQUAM ad te venit, mensis agitur hic jam septimus.
TER. Hec. act. III, sc. 3, v. 34.
Dans la langue romane, et dans les autres langues de l' Europe latine, il est quelquefois des mots qui offrent les mêmes variétés.
Je parlerai d' abord des adverbes; Ensuite, des prépositions; Et enfin, des conjonctions, négations, interjections; etc. A mesure que les adverbes, les prépositions et conjonctions passèrent de la langue latine dans la nouvelle langue, ils reçurent souvent l' adjonction d' une préposition romane, et notamment des prépositions A, DE, EN.
Ainsi d' INTUS vint INTZ, INS, auquel fut ajouté DE, qui produisit DE INS, (: dins) dans; et même, par reduplication de la préposition DE, fut formé DEDINS, dedans.
De SATIS latin vint SATZ, qui reçut l' A, et forma ASATZ, assez.
VERSUS latin fit d' abord VERS, vers, et les prépositions DE et EN, jointes à VERS roman, produisirent DEVERS, ENVERS.
En parcourant la nomenclature des principaux adverbes, des principales prépositions, et des conjonctions, qu'on ne soit pas surpris de trouver ce rapprochement de différentes prépositions.
Avant de présenter les tableaux des principaux adverbes, des principales prépositions, et des diverses conjonctions, je crois utile de placer ici des détails qui expliqueront la manière dont la langue romane a formé ces nombreux éléments du discours, en les dérivant presque toujours de la langue latine.
Ces détails auront un double avantage d' une part, ils présenteront l' origine et la dérivation du mot qui en sera l' objet; et de l' autre, ils montreront le rapport des adverbes, prépositions, ou conjonctions, qui ont une origine ou une dérivation commune.
Voici des observations successives sur les principaux adverbes, sur les principales prépositions, et sur les différentes conjonctions.
AB, A, avec.
Cette préposition AB se trouve dans les plus anciens monuments de la langue romane:
"AB Ludher nul plaid nunquam prindrai. (1)" Serment de 842.
Ella AB Boeci parlet ta dolzament. (2) Poëme sur Boece.
AB vos estay on qu' ieu esteia;
La nueg e 'l jorn AB vos domneya. (3)
Arnaud de Marueil: Ab vos estay.
Quelquefois cette préposition quitte le B, selon les manuscrits ou la prononciation locale; alors A seul signifie avec:
Que 'l meiller es, et ab mais de beutat,
D' autra domna; e es A dreit jujatz. (4)
(1) "Avec Lothaire nul traité ne oncques prendrai.”
(2) Elle avec Boece parla tant doucement.
(3) Avec vous suis où que je sois;
La nuit et le jour avec vous courtise.
(4) Que la meilleure est, et avec plus de beauté,
Qu' autre dame; et est avec droit jugé.
Qu' estat ai en tal marrimen,
Qu' A pauc no m' an mort li sospir. (1)
Gaucelm Faidit: Ab chantar.
Que s' il maire 'l sabia, batria l' A bastos. (2)
Sordel: Planher vuelh.
Lai a Melhau, on solia tener,
Qu' el coms li tolh ses dreg, e A gran tort,
E Marcelha li tolh a gran soan. (3)
Bertrand de Born: Un sirventes farai.
Qu' assatz val mais morir, al mon semblan,
Que toz temps viure A pena et A afan. (4)
Peyrols: Pois entremis me.
A penas sai dir oc ni no. (5)
Pons de Capdueil: S' anc fis ni dis.
On trouve parfois AM, AMB, pour AB:
“AM l' ajutori de Dieu.” (6) Philomena, fol. 35.
“Et aqui atrobero lor fraire Thomas et l' arsevesque Turpi AMB elhs.” (7)
Philomena, fol. 1.
Il serait difficile d' expliquer d' où vint cette préposition.
(1) Qu' été ai en tel chagrin,
Qu' avec peu ne m' ont tué les soupirs.
(2) Que si la mère le savait, battrait le avec bâton.
(3) Là à Millau, où accoutumait tenir,
Que le comte lui ôte sans droit, et avec grand tort,
Et Marseille lui ôte avec grand mépris.
(4) Qu' assez vaut plus mourir, à mon avis,
Que tous temps vivre avec peine et avec chagrin.
(5) Avec peines sais dire oui et non.
(6) “Avec l' aide de Dieu.”
(7) “Et là trouvèrent leur frère Thomas et l' archevêque Turpin avec eux.”
Ce qu'on peut dire de plus satisfaisant, c'est que d' AB, racine d' HABERE, la langue romane a fait une préposition qui désigne la possession, l' adhérence, la manière, etc., et qui a l' effet d' approprier, de joindre, d' identifier les objets, etc.
AD, A, à.
La préposition latine passa dans la langue romane, et conserva son acception primitive.
Elle retint quelquefois le D, lorsqu' elle était placée au-devant des mots qui commençaient par une voyelle; et elle quitta toujours le D au-devant des mots qui commençaient par une consonne.
DES, DESSE, dès, depuis; DESSE QUE, DES QUE, dès que; ADES, DESE, à-présent, toujours; NEIS, même; ANCEIS, au contraire.
DE IPSO latin, sous-entendu TEMPORE, forma DES roman.
AD IPSUM, sous-entendu TEMPUS, forma ADES. (1: Ce changement d' IPS en EPS ou ES est très ordinaire; s' il fallait en donner des preuves matérielles, je citerais ces vers du poëme sur Boece, où EPS est évidemment le même que IPS:
EPS li satan son en so mandamen...
Ne EPS li omne qui sun ultra la mar...
E la mors a EPSAMENT mala fe.
Poeme sur Boece.
(*: Même les satans sont en son obéissance...
Ni même les hommes qui sont outre la mer...
Et la mort a mêmement mauvaise foi.)
DES fut préposition, DESSE QUE, DES QUE, furent conjonction,
ADES, DESSE, adverbes.
Préposition.
DES lo temps Rollan,
Ni lai denan,
Non fo anc tan pros
Ni tan guerreian. (1)
Bertrand de Born: Mon chant.
Conjonction.
DESSE QUE serem vengut. (2, 3)
Bertrand de Born: Lo coms m' a.
El temps del premier paire,
DES QUE cregron las gens. (4)
Arnaud de Marueil: Rasos es.
Adverbe.
S' ieu sabi' aver guizardo
De chanso, si la fazia,
ADES la comensaria
Cunheta de mots e de so. (5) Berenger de Palasol: S' ieu sabia.
(1) Depuis le temps de Rolland
Ni là auparavant,
Ne fut jamais tant preux
Ni tant guerroyant.
(2) Le manuscrit du Vatican 3794 porte, au lieu de DESSE QUE,
le synonyme QUANT:
Quant aqui serem vengut.
(3) Dès que serons venus.
(4) Au temps du premier père,
Dès que augmentèrent les gens.
(5) Si je savais avoir guerdon
De chanson, si la faisais,
A l' instant la commencerais
Gentille de mots et de son.
Adverbe.
Sos homs plevitz e juratz
Serai ADES, s' a leis platz. (1)
Alphonse II, Roi D' Aragon: Per mantas.
Que tan no vauc, ni sai ni lai,
C' ADES no m tenha en son fre. (2)
Bernard de Ventadour: En cossirier.
E en enfer n' anec DECE
Per nos salvar, vera merce. (3)
Pierre d' Auvergne: Lo senher.
E qui 'l bon rei Richar, que vol qu' eu chan,
Blasmet per so que no paset DESE,
Ar l' en desmen, si que chascus o ve
C' areires trais per miels saillir enan. (4)
Folquet de Marseille: Sitot me soi.
L' adverbe NEIS, même, vint du latin IN IPSO:
Per que no vuelh un dia
Viure desconortatz,
Que, NEIS quan soi iratz,
Ieu chant e m' asolatz. (5)
Arnaud de Marueil: Ses joi non es.
(1) Son homme cautionné et juré
Serai toujours, si à elle plaît.
(2) Que tant ne vais, ni çà ni là,
Que toujours ne me tienne en son frein.
(3) Et en enfer en alla à l' instant,
Pour nous sauver, vraie merci.
(4) Et qui le bon roi Richard, qui veut que je chante,
Blâma pour ce que ne passa à l' instant,
Maintenant l' en dément, si que chacun cela voit
Qu' arrière tira pour mieux saillir avant.
(5) Pour quoi ne veux un jour
Vivre découragé,
Vû que, même quand suis triste,
Je chante et me récrée.
Mas so que tolre no m podetz,
Tolre no m podetz que no us am,
NEYS s' ieu e vos o volriam,
Que no m' o cossentri' amors. (1)
Arnaud de Marueil: Totas bonas.
ANCEIS, d' ANTE IPSUM.
Conjonction.
Senz no fo ges, ANCEIS fo granz foldatz. (2)
Folquet de Marseille: Per Deu amor.
ANCEIS m' es esquiv' e fera,
On eu plus li clam merce. (3)
Sail de Scola: De bon gran.
DONC, ADONC, DONCX, ADONCS, DONCAS, ADONCAS, alors, donc.
Du TUNC latin vint dunc, et la langue romane y ajouta parfois la préposition AD, A.
On trouve, dans la basse latinité, AD TUNC (4), locution qui pourrait bien être un effet de la langue romane sur la langue latine elle-même:
Adv. E DUNC apel la mort ta dolzament. (5) Poeme sur Boece.
(1) Mais ce que ôter ne me pouvez,
Oter ne me pouvez que ne vous aime,
Même si moi et vous le voudrions,
Vû que ne me le consentirait amour.
(2) Sens ne fut aucunement, au contraire fut grande folie.
(3) Au contraire m' est rétive et farouche,
Où je plus lui crie merci.
(4) AD TUNC nos... AD TUNC IPSE. Plaid de 842. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. I, p. 99.
(5) Et alors il appelle la mort tant doucement.
ADONCA era un lengage entre tota la gent. (1)
La Nobla Leyçon.
Adverbe.
E quan lo bosc reverdeya,
Nais fresca e vertz la fuelha;
ADONCAS ieu reverdey
De joi, e florisc cum suelh. (2)
Geoffroi Rudel: Lanquan lo temps.
Lanquan vei los arbres florir,
Et aug lo rossignol chantar,
ADONC se deu ben alegrar
Qui bon' amor saup chausir. (3)
Bernard de Ventadour: Quan la vertz.
Cant ieu la cug ades trair per amia,
ADONCX la truep pus salvatg' e peior;
DONCX ben es fols totz hom qu' en lor se fia. (4)
Bernard de Ventadour: En amor truep.
(1) Alors était même langage entre toute la gent.
(2) Et quand le bois reverdit,
Naît fraîche et verte la feuille;
Alors je reverdis
De joie, et fleuris comme sureau.
(3) Lorsque vois les arbres fleurir,
Et ouis le rossignol chanter,
Alors se doit bien réjouir
Qui bonne amour sut choisir.
(4) Quand je la crois présentement entraîner pour amie;
Alors la trouve plus sauvage et pire;
Donc bien est fol tout homme qui en elles se fie.
On voit, dans l' exemple précédent, que DONC est conjonction, et sert à l' argumentation, de même que OR venant d' ORA, qui signifie alors, à l' heure, comme DONC:
Conjonction.
Razon e mandamen
Ai, de leys on m' aten,
De far gaia chanso;
DONCX, pos ilh m' en somo,
Ben coven derenan
Qu' ieu m' alegr' en chantan. (1)
Gaucelm Faidit: Razon.
ALHORS, AILHORS, ailleurs.
Cet adverbe vint du latin ALIORSUM: (2)
Ma forsa d' amor m rete
Que no m laissa virar ALHORS. (3)
Arnaud de Marueil: Ab pauc.
Perdre no m pot per so qu' ieu am AILLORS...
C' ai fach semblan qu' AILHORS m' era giratz. (4)
Arnaud de Marueil: Aissi com selh qu' a.
(1) Raison et mandement
Ai, de celle où m' adresse,
De faire gaie chanson;
Donc, puisqu' elle m' en semond,
Bien convient dorénavant
Que je me réjouisse en chantant.
(2) "Et si a proposito suo ALIORSUM digressi fuerint, per abbatem Anianensis monasterii corrigantur.” Titre de 819. Pr. de l' Hist. du Languedoc, t. I, col. 52.
(3) Mais force d' amour me retient
Qui ne me laisse tourner ailleurs.
(4) Perdre ne me peut pour ce que j' aime ailleurs...
Qu' ai fait semblant qu' ailleurs m' étais tourné.
ALQUES, quelquefois, parfois, aucunement.
Cet adverbe roman vint vraisemblablement d' Aliquoties.
Pero si m sui ALQUES forsatz. (1)
Bernard de Ventadour: Estat ai dos.
E si n' ai estat ALQUES lens,
No m' en deu hom ochaizonar. (2)
Berenger de Palasol: S' ieu sabi' aver.
AMON, DAMON, au haut, du haut; AVAL, DAVAL, à bas, en bas.
Ces adverbes paraissent formés de MONTEM, VALLEM, (a + munt, amunt, damunt) avec les prépositions A ou DE:
E la cortina se parti
El temple, DAVAL tro AMON. (3)
La Passio de Jhesu Crist.
Tornon so qu' es DAMON desotz. (4) (: sotz, sota, desus, sus, suso)
Pierre d' Auvergne: Cui bon vers.
Tro que n' aia mes te AVAL. (5) Roman de Jaufre.
E vai corren DAMON DAVAL. (6) Roman de Jaufre.
(1) Pour ce si me suis aucunes fois forcé.
(2) Et si en ai été quelquefois lent,
Non m' en doit on accuser.
(3) Et le voile se fendit
Au temple, d' en bas jusqu' en haut.
(4) Tournent ce qui est au haut dessous.
(5) Jusqu' à ce que en aie mis toi à bas.
(6) Et va courant du haut en bas.
ANT, ANS, ANZ, ABANZ, DAVAN, DEVAN, avant, devant; ENAN, DENAN, ADENANT, avant, devant; ANTAN, avant l' année, jadis; DERENAN, DESERENAN, dorénavant; ANS QUE, avant que; ANS, ANZ, AINZ, au contraire, mais, ains.
Ces adverbes, prépositions et conjonctions viennent d' ANTE, combiné avec d' autres prépositions et adverbes.
Adv. D' aquesta hora en ANT.” (1) Titre de 1122. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, col. 422.
Autra ley d' ayci ENANT no devon plus aver. (2)
E torn atras, quand cug anar ENAN. (3)
Gaucelm Faidit: Maintas sazos.
Que lozenger e trizador
Portes' un corn el fron DENAN. (4)
Bernard de Ventadour: No m meraveilla.
“D' aquesta hora ADENANT.” (5) Titre de 1059. Pr. de l' Hist. du Languedoc, t. II, col. 230.
ANS est quelquefois adverbe de comparaison, et alors il est suivi du QUE ou du DE:
Qu' ANZ nos pregaran que nos lor. (6)
Bernard de Ventadour: Amicx Bernartz.
(1) “De cette heure en avant.”
(2) Autre loi d' ici en avant ne doivent plus avoir.
(3) Et tourne arrière, quand crois aller en avant.
(4) Que médisants et tricheurs
Portassent une corne au front au devant.
(5) “De cette heure en avant.”
(6) Qu' avant nous prieraient que nous elles.
ANTAN, d' ANTE ANNUM, signifia auparavant, jadis: (N. E. antaño)
Mas eras crey so qu' ANTAN no crezia. (1)
Arnaud de Marueil: Anc m' es tan be.
Lo mals d' amor qu' avi' ANTAN. (2)
Pierre Raimond de Toulouse: Enquera eu vei.
DERENAN, DESERENAN, venant de DE HORA IN ANTEA, DE IPSA HORA IN ANTEA, signifièrent dorénavant, désormais.
Per qu' eu vir DESERENAN. (3)
Gaucelm Faidit: Ges fora.
Préposition. Qui fan, per fol' entendensa,
ANS del peccat, penedensa. (4)
Folquet de Marseille: Greu feira.
Vai, Papiol, e no sias lens,
A Trasinhac on sias ANS la festa. (5)
Bertrand de Born: Non estarai.
DAVAN so vis nulz om no s pot celar. (6) Poëme sur Boece.
Glorios Dieus, per ta merce,
Dressa ta cara DEVAN me. (7)
Folquet de Marseille: Senher Dieu.
(1) Mais ores crois ce que jadis ne croyais.
(2) Le mal d' amour qu' avais jadis.
(3) Pour que je tourne dorénavant.
(4) Qui font, par folle idée,
Avant du péché, pénitence.
(5) Va, Papiol, et ne sois lent,
A Trasinhac où sois avant la fête.
(6) Devant son visage nul homme ne se peut celer.
(7) Glorieux Dieu, par ta merci,
Lève ta face devant moi.
Sos homs plevitz e juratz
Serai ades, s' a leis platz,
DAVAN totz autres senhors. (1)
Alphonse II, Roi D' Aragon: Per mantas.
Qui vi anc mais penedensa
Faire DENAN lo peccat? (2)
Bernard de Ventadour: Lo temps vai.
ANS, suivi du QUE, est conjonction, et signifie avant que.
Conjonction.
Si N' Alazais
Me pregava tot an, seria lassa
ANS QUE m' agues conquist per aymador. (3)
Bernard de Ventadour: En amor truep.
ABANS QUE il blanc puoi sion vert. (4)
Pierre d' Auvergne: Abans que.
“ENANS QUE tiresso areyre los cavals.” (5) Philomena, fol. 115.
Quelquefois il a le sens de plutôt:
Qu' ENANS voill que pres mi tenguatz,
Domna, que si m deliuravatz. (6)
Berenger de Palasol: Aissi com hom.
(1) Son homme cautionné et juré
Serai toujours, si à elle plaît,
Préférablement à tous autres seigneurs.
(2) Qui vit oncques mais pénitence
Faire avant le péché?
(3) Si dame Alazais
Me priait tout an, serait lasse
Avant que m' eût conquis pour amant.
(4) Avant que les blancs sommets soient verds.
(5) "Avant que tirassent arrière les chevaux.”
(6) Que plutôt veux que pris me teniez,
Dame, que si me délivriez.
Le QUE est quelquefois sous-entendu.
Ordinairement ANS, conjonction, et non suivi du QUE, signifie au contraire, mais, ains:
Qu' ieu res no vei, ni sai on so;
ANS prenc lo mal e lais lo bo. (1)
Folquet de Marseille: Senher Dieu.
Mas aisso non es ardimentz,
AINTZ es follia e non sentz. (2)
Roman de Jaufre.
AREIRE, DEREER, TRAS, ATRAS, DETRAS, arrière, derrière.
Ce fut en modifiant RETRO latin, et en y joignant les prépositions DE et A, que la langue romane forma DEREER et AREIRE.
Le même retro, ou TRANS latin, a pu fournir TRAS, ATRAS, DETRAS.
Adv.
C' an mes DERER so qu' anava denan. (3)
Hugues Brunel: Pois lo dreich.
Molt fort blasmava Boecis sos amigs
Qui lui laudaven DEREER euz dias antix. (4) Poeme sur Boece.
(1) Que je rien ne vois, ni sais où suis;
Mais prends le mauvais et laisse le bon.
(2) Mais ceci n' est hardiesse,
Ains est folie et non sens.
(3) Que ont mis derrière ce qui allait devant.
(4) Beaucoup fort blâmait Boece ses amis
Qui le louaient derrière aux jours anciens.
Adverbe.
Mi mandas AREIRE tornar. (1)
Roman de Jaufre.
E torn ATRAS, quan cug anar enan. (2)
Gaucelm Faidit: Mantas sazos.
E una femna ven DETRAS. (3)
Roman de Jaufre.
Préposition.
E es se TRAS un pilar mes,
E estet aqui apilatz. (4)
Roman de Jaufre.
Et ab aitant us nas issi
Qui estava TRAS un boison. (5)
Roman de Jaufre.
ASATZ, ASSATZ, beaucoup, assez; PRO, PRON, prou, assez.
De SATIS latin, auquel fut jointe la préposition A, vint l' adverbe ASATZ; il prend quelquefois la particule DE après lui.
Que tan son nostras terras luenh;
ASSATZ y a pas e camis. (6)
Geoffroi Rudel: Lanquan li jorn.
E membres li qu' ASSATZ quier qui s complanh. (7)
Peyrols: D' un bon vers.
(1) Me mandes arrière tourner.
(2) Et tourne arrière, quand crois aller en avant.
(3) Et une femme vient derrière.
(4) Et est soi derrière un pilier mis,
Et resta là appuyé.
(5) Et à l' instant un nain sortit
Qui était derrière un buisson.
(6) Vû que tant sont nos terres loin;
Assez y a pas et chemins.
(7) Et souvînt lui qu' assez demande qui se plaint.
Comte d' Urgel, ASSATZ avetz formen,
E sivada, e bos castels, ab tors. (1)
Bertrand de Born: Un sirventes farai.
Pueis an ASATZ gabat e ris. (2)
Roman de Jaufre.
Lo nostre reys ASSATZ a de poder. (3)
Bertrand de Born: Un sirventes farai.
PRON, PRO eut la même acception. Il prit aussi quelquefois le DE après lui:
E aprenetz autre mestier,
Que aquest avetz PRON tengut. (4)
Roman de Jaufre.
Quar on plus la lauzaria,
Del laus sol qu' en remaria,
Cent domnas ne aurian PRO. (5)
Berenguer de Palasol: S' ieu sabi' aver.
Del papa sai que dara largamen
PRON del pardon, e pauc de son argen. (6)
(N. E. chap. Del Papa sé que dará o donará llargamen
prou de perdó - perdons, y poc de son argén : plata : dinés)
Bertrand d' Alamanon: D' un sirventes.
(1) Comte d' Urgel, assez avez froment
Et avoine, et bons châteaux, avec tours.
(2) Après qu' ont assez raillé et ri.
(3) Le notre roi assez a de pouvoir.
(4) Et apprenez autre métier,
Vû que celui-là avez assez tenu.
(5) Car où plus la louerais,
De l' éloge seul qui en resterait,
Cent dames en auraient assez.
(6) Du pape sais qu' il donnera largement
Assez d' indulgences, et peu de son argent.
S' ieu trobes plazer a vendre,
E agues PRON de paiar,
Ben mi porion reprendre,
S' ieu non l' anes acatar. (1)
Barthelemi Zorgi: S' ieu trobes.
CONTRA, ENCONTRA, contre, à l' opposite, envers, à l' encontre, en comparaison.
Ja no m' aia cor felon ni salvatge,
Ni CONTRA mi malvatz conselhs no creia. (2)
Bernard de Ventadour: Quan vei la flor.
Com la flors qu' om retrai
Que totas horas vai
CONTRA 'l solelh viran. (3)
Peyrols: D' un sonet vau.
Si vol que m lays de lieys, tuelha m lo sen,
E 'l cor e 'ls huelhs; e pueys partirai m' en,
Si puesc; si no, fassa n' ilh son veiaire,
Qu' ENCONTRA lieis non ai forsa ni genh. (4)
Gaucelm Faidit: Mas la bella.
(1) Si je trouvasse plaisir à vendre,
Et eusse assez de payer,
Bien me pourraient reprendre,
Si je ne l' allasse acheter.
(2) Jamais ne m' ait coeur félon ni sauvage,
Et contre moi mauvais conseil ne croie.
(3) Comme la fleur qu'on rapporte
Qui toutes heures va
Contre le soleil tournant.
(4) Si veut que me laisse d' elle, ôte moi le sens,
Et le coeur et les yeux; et puis séparerai m' en,
Si peux; si non, fasse en elle son semblant,
Vû que envers elle n' ai force ni adresse.
Qu' issamen trembli de paor
Com fai la fuelha CONTRA 'l ven. (1)
Bernard de Ventadour: Non es meraveilla.
Si tot li dol e 'l plur e 'l marimen...
Fosson esems, sembleran tut leugier
CONTRA la mort del jove rei Engles. (2)
Bertrand de Born: Si tut li dol.
E vi dejos un albespi,
ENCONTRA 'l prim rai del solelh. (3)
Gavaudan le Vieux: L' autre dia.
Ja mos chantars no m' er honors
ENCONTRA 'l gran joi qu' ai conques. (4)
Bernard de Ventadour: Ja mos chantars.
CUM, COM, CO, SI COM, EISSI COM, EN AISSI COM, COSSI,
comme, comment, de même que, ainsi comme.
Ces adverbes et conjonctions furent, selon leurs différentes acceptions, dérivés des mots latins CUM, QUOМODO, et prirent quelquefois SI, AISSI, EN AISSI romans.
Qu' er amors m' a forjujaz, no sai COM. (5)
Perdigon: Tot temps ai.
(1) Qu' également tremble de peur
Comme fait la feuille contre le vent.
(2) Si tous les deuils et les pleurs et les tristesses...
Fussent ensemble, sembleraient tous légers
En comparaison de la mort du vaillant roi anglais.
(3) Et vis en bas une aubépine,
A l' encontre du premier rayon du soleil.
(4) Jamais mon chanter ne me sera honneur
En comparaison de la grande joie qu' ai conquise.
(5) Qu' à-présent amour m' a condamné, ne sais comment.
Me mostra qu' ieu cossir
QUOM de lieys me sovenga. (1)
Arnaud de Marueil: La cortesia.
Quan vostra beutat remire
Fresca CUM rosa en mai. (2)
Rambaud de Vaqueiras: Bella domna.
Que vos e mi 'n fesetz per totz lausar,
Vos com senher, e mi com bacalar. (3)
Rambaud de Vaqueiras: Honrat marques.
Dona, loncx temps a qu' ieu cossir
Co us disses o us fezes dir
Mon pessamen e mon coratge. (4)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
CUM ausam donc aquesta mort atendre? (5)
Gaucelm Faidit: Cascus hom deu.
Al segle mostrarai
COSSI s deu captener
Qui vol bon laus aver. (6)
Arnaud de Marueil: Rasos es.
(1) Me montre que je considère
Comme d' elle me souvienne.
(2) Quand votre beauté admire
Fraîche comme rose en mai.
(3) Que vous et moi en fites par tous louer,
Vous comme seigneur, et moi comme bachelier.
(4) Dame, long-temps a que je considère
Comment vous disse ou vous fisse dire
Ma pensée et mon desir.
(5) Comment osons donc cette mort attendre?
(6) Au siècle montrerai
Comment se doit gouverner
Qui veut bonne louange avoir.
“SI COM in isto pergamen es scrit et om legir i o pod.” (1)
Acte de 1053. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, col. 224.
AISSI col peis an en l' aigua lor vida. (2)
Arnaud de Marueil: Aissi col peis.
DE, de.
La préposition latine devint préposition romane, et eut différentes acceptions; elle exprima la propriété, la manière, etc.
E fezetz la terr', e 'l tro,
E tot quant es ni anc fo,
D' un sol seing, e 'l sol, e 'l cel. (3)
Pierre d' Auvergne: Dieus vera vida.
EN, E, dans, en.
D' IN, préposition latine, furent formés EN, E romans, qui conservèrent la signification primitive.
L' N n' est supprimé que parfois et devant les consonnes:
Dona, que EN bon pretz s' entend,
Deu ben pausar s' entendensa
EN un pro cavalier valen. (4)
Comtesse de Die: Ab joi.
No cuid qu' E Roma om de so saber fos. (5) Poëme sur Boece.
(1) "Comme en ce parchemin est écrit et on lire y le peut."
(2) Ainsi comme les poissons ont en l' eau leur vie.
(3) Et fîtes la terre, et le tonnerre,
Et tout quant est et oncques fut,
D' un seul signe, et le soleil, et le ciel.
(4) Dame, qui en bon prix se connaît,
Doit bien placer son consentement
En un preux chevalier vaillant.
(5) Ne pense qu' en Rome homme de son savoir fût.
ENT, ENS, EN, NE, de là, en.
Cette préposition, modifiée de ces manières diverses, fut dérivée d' INDE latin:
Ja nos es obs fox i sia alumnaz;
Veder ENZ pot l' om per quaranta ciptaz. (1) Poeme sur Boece.
Ieu m' EN anarai en eyssilh. (2)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
Tant l' am per fin' amor,
Que mantas vez EN plor. (3)
Bernard de Ventadour: Tant ai.
Dona, far NE podetz a vostra guisa. (4)
Rambaud d' Orange: Escotatz.
ENTRE, entre, parmi; TRO, TRO QUE, jusques, jusqu' à ce que; ENTRE QUE, MENTRE QUE, tandis que.
Ces prépositions et conjonctions furent formées de INTER, INTRA, INTRO, INTERIM latins.
Préposition.
E sa beutaz es ENTRE las gensors
Genser, aisi com ENTRE foillas flors. (5) Aimeri: Totz hom.
(1) Jamais n' est besoin que feu y soit allumé;
Voir de là peut l' on par quarante cités.
(2) Je m' en irai en exil.
(3) Tant l' aime par pure amour,
Que maintes fois en pleure.
(4) Dame, faire en pouvez à votre guise.
(5) Et sa beauté est entre les plus gentes
Plus gente, ainsi comme entre feuilles fleur.
Préposition.
ENTR' els nessis e 'ls fatz
Sai chausir los sanatz. (1)
Arnaud de Marueil: Rasos es.
Que ENTRO a la fin del mont fora tota via cum lor. (2)
La Nobla Leyçon.
“De Savardie TRO a Justared.” (3) Acte de 1034. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, col. 190.
E escorgeron me del cap (N. E. Voire català - escorxar)
TRO al talo. (4)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
Conjonction.
E s' aisi pert sos dregs, ENTRE QU' es tos,
Lai quant er vielhs, en sera vergonhos. (5)
Bertrand de Born: S' ieu fos.
Qu' el cors me dis qu' ieu no chan mais,
Et amors no vol que m' en lais,
MENTRE QU' el segl' estarai vius. (6)
Raimond de Miraval: Entre dos volers.
“MENTRE QU' els estavan en aquest parlamen.” (7) Philomena, fol. 12.
“MENTRE Thomas levava el cors de Jhesu Xrist a la messa.” (8)
Philomena, fol. 6.
(1) Entre les non savants et les fols
Sait choisir les sensés.
(2) Que jusqu' à la fin du monde serait toujours avec eux.
(3) “De Savardie jusques à Justared.”
(4) Et écorchèrent moi du chef
Jusqu' au talon.
(5) Et si ainsi perd ses droits, tandis que est jouvencel,
Là quand sera vieux, en sera honteux.
(6) Que le coeur me dit que je ne chante plus,
Et amour ne veut que m' en laisse,
Pendant qu' au siècle serai vif.
(7) “Tandis qu' ils étaient en ce parlement.”
(8) “Tandis que Thomas élevait le corps de Jésus Christ à la messe.”
Meillor amic qu' eu ai
Vos man en ostage,
ENTRO qu' eu torn de chai. (1)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei.
“En ajutori lor en seran... TRO QUE recobrat l' auran.” (2)
Acte de 1020. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, col. 179.
E no sap ren, TRO QUE s' es pres a l' ama. (3)
Bernard de Ventadour: Ben m' an perdut.
TRO est souvent conjonction, quoiqu' il ne soit pas suivi du QUE:
Me dis que tan trona TRO plou. (4)
Arnaud Daniel: Amors e jois.
Que la gota d' aiga, quan chai,
Fer en un loc tan soven,
TRO cava la pera dura. (5)
Bernard de Ventadour: Conort era.
ENSEMS, ESSEMS, ensemble. (N. E. ensemps)
D' INSIMUL latin vint cet adverbe.
Veirem, al entrar del estor,
Gran ren vassalhs ENSEMS ferir. (6)
Bertrand de Born: Be m plai lo.
(1) Le meilleur ami que j' ai
Vous mande en ôtage,
Jusqu' à ce que je retourne de çà.
(2) "En aide leur en seront... jusqu' à ce que recouvré l' auront."
(3) Et ne sait rien, jusqu' à ce que s' est pris à l' hameçon.
(4) Me dit que tant tonne jusqu' à ce qu' il pleut.
(5) Que la goutte d' eau, quand tombe,
Frappe en un lieu tant souvent,
Jusqu' à ce que creuse la pierre dure.
(6) Verrons à l' entrer de la bataille,
Grand chose vassaux ensemble frapper.
Que no us vey lai on ESSEMS fom. (1)
Rambaud d' Orange: Er quan.
ENTORN, autour; ENVIRON, environ.
Du verbe TORNARE vint ENTORN, d' ENTORN; de GYRARE, qui a le même sens que TORNARE, vint VIRON, environ. (virare : girare, gyrare)
Préposition.
Pro ai del chan ensenhadors,
ENTORN mi, e ensenhairitz,
Pratz e vergiers, arbres e flors. (2)
Geoffroi Rudel: Pro ai.
“ENTORN la miega nueyt.” (3) Philomena, fol. 78.
Qu' en breu aura ENVIRON de VII anz
Que m fetz amar tant fort senez mesura. (4) (N. E. senez : sense)
Gaucelm Faidit: Molt a pugnat.
Que s met VIRON l' aureilla. (5)
Augier: Era quan.
Adverbe. Li enemic qui li perseguian eran moti d' ENTORN. (6)
La Nobla Leyçon.
De la Francha regio
Don il es, e d' ENVIRO. (7)
Raimond de Miraval: Entre dos volers.
(1) Que je ne vous vois là où ensemble fûmes.
(2) Assez ai du chant instituteurs
Autour de moi, et institutrices,
Près et vergers, arbres et fleurs.
(3) “Environ la mi-nuit.”
(4) Qu' en bref aura environ de sept ans
Que me fites aimer tant fort sans mesure.
(5) Que se met autour de l' oreille.
(6) Les ennemis qui les poursuivaient étaient plusieurs d' entour.
(7) De la française région
Dont il est, et d' environ.
ESTIERS, ESTERS, ESTRA, autrement, hormis, outre.
Ces adverbes et prépositions vinrent d' EXTRA latin.
Aissi com cel qu' ESTERS non pot gandir. (1)
Folquet de Marseille: Ben an mort.
Ges no l' aus mostrar ma dolor,
ESTIERS adhorar, quan s' eschai
Qu' ieu la vei. (2)
Arnaud de Marueil: A guiza.
Dic en chantan ma razos,
Qu' ESTIERS no us aus descobrir
So qu' ieu ai e mon coratge. (3)
Rambaud de Vaqueiras: A vos bona.
“E van hi morir III M Sarrasis, ESTIERS los XI M davant dits.” (4) Philomena, fol. 109.
Mentir cuiei, mas ESTRA grat dic vers. (5) (N. E. vers : ver : veritas)
Folquet de Marseille: S' al cor plagues.
(1) Mais come celui qui autrement ne peut garantir.
(2) Aucunement ne lui ose montrer ma douleur,
Hormis adorer, quand il échoit
Que je la vois.
(3) Dis en chantant ma raison
Qu' autrement ne vous ose découvrir
Ce que j' ai en mon coeur.
(4) "Et vont y mourir trois mille Sarrasins, outre les onze mille devant dits."
(5) Mentir crus, mais outre gré dis vrai.
FORAS, FORA, FORS, FOR, fors, hormis; DE FORAS, DEFOR, FORS QUE, dehors, fors que.
FORIS latin produisit FORS roman, qui reçut tour-à-tour diverses modifications légères, et devint adverbe, préposition, et conjonction.
Adverbe.
Ab tan cuia FORAS sailir...
E DEFORAS par bels e bos...
Aissi avols hom, ben vestitz,
Es bels DEFORS, e dins poritz. (1)
Roman de Jaufre.
Ieu get DEFOR abdos mos bras. (2)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
Préposition.
Mas al meu chant neus ni glatz
No m' ajuda, ni estatz,
Ni res, FORS Dieu et amors. (3)
Alphonse II, Roi D' Aragon: Per mantas.
Il pendutz es FORA de consirers. (4)
Blacas: En Pellicer.
Conjonction.
Enans sapchatz tos temps vos amarai,
FORS QUE jamais vostres drutz no serai. (5)
Pierre Barjac: Tot francamen.
(1) Cependant cuide hors saillir...
Et dehors paraît bel et bon...
Ainsi lâche homme, bien vêtu,
Est beau dehors, et au dedans pourri.
(2) Je jette dehors l' un et l' autre mes bras.
(3) Mais à mon chant neige ni glace
Ne m' aide, ni été,
Ni rien, fors Dieu et amour.
(4) Le pendu est hors de souci.
(5) Au contraire sachez que tous temps vous aimerai,
Hors que jamais votre galant ne serai.
GAIRE, GUAIRE, beaucoup, grand chose, guères.
Cet adverbe a pu être dérivé ou de GAR, qui, dans les langues du nord, signifie beaucoup, très, exactement (1); (N. E. alemán gar nichts, gar keine enfatiza la negación, nada, ninguna) ou de GRAN RE, GAN RE, que l' on trouve dans les écrits en langue romane:
GRAN REN pogra d' autras donas ornar. (2)
Arnaud de Marueil: Anc vas amors.
“Mas GAN RE de Samaritans d' aquella cioutat crezeron en el.” (3)
Trad. du Nouv. Testament: Johan. c. 4, v. 41.
On sent que, par euphonie, GAIRE a pu être formé de GAN RE:
Que sciensa no pretz GAIRE,
S' al ops no la vey valer. (4)
Pierre d' Auvergne: Gent es.
HOI, OI, UI, UOI, HUEI, ce jour, aujourd'hui; HER, hier; DEMAN, demain.
Ces adverbes furent évidemment formés de НODIE, HERI, MANÈ.
Lo plus rics jorns es OI de la setmana. (5) (N. E. huy, hui, avui)
Bertrand de Born: Ges de disnar.
(1) Je parlerai bientôt de GAIRE comme négation explétive.
(2) Grand chose pourrait d' autres dames orner.
(3) "Mais beaucoup de Samaritains de cette cité crurent en lui."
(4) Que science ne prise beaucoup,
Si au besoin ne la vois valoir.
(5) Le plus beau jour est aujourd'hui de la semaine.
Oi val pro mais que HER. (1) (N. E. hir, ahir; ayer)
Aimeri de Peguillan: Si com l' arbres.
Non es amors, ans es enganz proatz,
Si UOI enqueretz, e DEMAN o laissatz. (2)
Blacas: Peire Vidal.
“Verge, de Dieu engenairitz, sias nos HUEY en ajuda.” (3)
Philomena, fol. 15.
Mais HUEY s' oblida aco d' IER. (4)
Pierre d' Auvergne: De Dieu no.
Quelquefois MAIS se joint à HUEI comme il se joint à ORA, OR, et il signifie également désormais:
HUEIMAI seran ric portier,
Que tenran porta serrada. (5) Bertrand de Born: Rassa m' es.
Coindas razos e novelas plazens
Digam OIMAI, e aiam bel solaz. (6)
Hugues Brunel: Coindas razos.
DESSER HUEIMAIS, de IPSA HORA HODIE MAGIS, signifie aussi désormais.
DESSER HUEYMAIS m' esbaudis. (7)
Pierre d' Auvergne: Al descebrar.
(1) Aujourd'hui vaut beaucoup plus que hier.
(2) Non est amour, au contraire est tromperie prouvée,
Si aujourd'hui recherchez, et demain le laissez.
(3) "Vierge, de Dieu engendreresse, sois nous aujourd'hui en aide."
(4) Mais aujourd'hui s' oublie cela d' hier.
(5) Désormais seront puissants portiers,
Qui tiendront porte fermée.
(6) Agréables raisons et nouvelles plaisantes
Disons désormais, et ayons beau contentement.
(7) Désormais m' esbaudis.
ENCUI, ENCOI, de IN HOC HODIE, en ce jour, aujourd'hui.
Si la mort nos penre o ENCHOY O DEMAN. (1)
La Nobla Leyçon.
Dona nos lo nostre pan quotidian ENCHOY. (2)
Oraison Dominicale en Vaudois.
I, Y, HI, y; AISSI, AQUI, ici, là; SAI, LAI, çà, là.
D' IBI latin, en supprimant BI (comme dans tibi (ti), sibi (si), ubi (u)), vint l' adverbe de lieu I, Y romans.
Cet I combiné avec AISSO, AQUO, pronoms démonstratifs employés neutralement, forma AISSI, AQUI, ici, là. Et enfin ipsa ibi, illa ibi, produisirent SAI (ipSA Ibi), LAI (ilLA Ibi). On trouve quelquefois LA, SA.
DE est joint fréquemment à ces sortes d' adverbes:
D' un an non I poiria venir. (3)
Comte de Poitiers: Mout jauzens.
E non HI vuelh tornar jamais. (4)
Geoffroi Rudel: Belhs m' es.
Mais LA on vol, Aqui s' en pren. (5)
Bernard de Ventadour: Ab cor leial.
Quar d' AQUI mov cortesia e solatz. (6)
Arnaud de Marueil: A gran honor.
(1) Si la mort nous prendra ou en ce jourd'hui ou demain.
(2) Donne nous le notre pain quotidien en ce jourd'hui.
(3) D' un an n' y pourrait parvenir.
(4) Et n' y veux retourner jamais.
(5) Mais là où veut, là s' en prend.
(6) Car de là meut courtoisie et contentement.
Vos aport AICI esta lansa...
E perque? ai te ren forfait,
Mas car voil per AICI passar? (1)
Roman de Jaufre.
Quar qui LAI mor, mais a que si vivia;
E qui SAI viu, pietz a que si moria. (2)
Pons de Capdueil: Er nos sia.
Obre mos huelhs soptozamen;
Gart SAI e LAI tot belamen. (3)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
Que tan no vauc ni SAI ni LAI,
C' ades no m tenha en son fre. (4)
Bernard de Ventadour: En cossirier.
“De Bolbona EN CA del Banchets EN LA.” (5)
Acte de 1034. Pr. de l' Hist. de Languedoc t. II, col. 190.
Préposition.
Qui tot quant es DE SAI mar conqueria,
No 'l te nul pro, si fal a Dieu vilmen. (6)
Pons de Capdueil: Er nos sia.
(1) Vous apporte ici cette lance... (N. E. astí, aci, açi, aquí)
Et pourquoi? Ai à toi rien forfait,
Excepté parce que veux par ici passer?
(2) Car qui là meurt, plus a que si vivait,
Et qui çà vit, pire a que si mourait.
(3) Ouvre mes yeux subitement;
Regarde çà et là tout bellement.
(4) Que tant ne vais ni çà ni là,
Que toujours ne me tienne en son frein.
(5) “De Bolbone en çà et du Banchet en là.”
(6) Qui tout quand est de çà la mer conquerrait,
Ne lui tiens nul profit, si manque à Dieu vilement.
L' adverbe ON, où, se joint à LAI et SAI:
Gratar me fai LAI ON no m pru. (1)
Bernard de Ventadour: Ab cor leial.
DE LAI ON pres mort e dolor. (2)
Gaucelm Faidit: Tant sui ferms.
INS, DINS, DEDINS, en, dans, dedans, au-dedans; LAINS, léans, là-dedans; SAINS, céans, çà-dedans.
INS fut dérivé d' INTUS latin; DINS représenta DEINTUS, et parfois reçut la préposition DE:
Préposition.
C' amors m' a INS el cor enclaus
Vostra valor e vostra laus. (3)
Arnaud de Marueil: Totas bonas.
Qu' anc no m' ac Norman ni Frances
DINS mon ostau. (4)
Comte de Poitiers: Farai un vers.
DEINZ de mon cor encorroz e m' azire. (5)
Bernard de Ventadour: Per miels cobrir.
Perqu' ieu volgra estar suau e gen
DINS mon ostal, et aculhir los pros. (6)
Pistoleta: Ar agues.
(1) Gratter me fait là où ne me démange.
(2) De là où prit mort et douleur.
(3) Qu' amour m' a en le coeur enclos
Votre valeur et votre renommée.
(4) Qu' oncques ne j' eus Normand ni Français
Dans ma maison.
(5) Au dedans de mon coeur courrouce et je bais.
(6) Pourquoi je voudrais être doucement et gentement
Dans ma maison, et accueillir les preux.
Tro lai ont es mont Oreps,
Pueis auzim DEDINS Bethleem. (1)
Pierre d' Auvergne: Dieus vera vida.
Adverbe.
Sitot fas de joy parvensa,
Mot ai DINS lo cor irat. (2)
Bernard de Ventadour: Lo temps vai.
Per lo cor DEDINS refrescar. (3)
Comte de Poitiers: Mout jauzens.
Qu' es malvatz defors e DEDINS. (4)
Pierre d' Auvergne: Chantarai d' aquest.
LAINZ, SAINZ vinrent de ILLA INTUS, IPSA INTUS, comme LAI et SAI de ILLA IBI, IPSA IBI:
D' una donzella fo LAINZ visitatz. (5) Poeme sur Boece.
Es se LAINZ tornatz sezer...
Car no pot de LAINZ issir. (6)
Roman de Jaufre.
Cavaliers, be t tenc per ausar,
Car anc SAINS auses intrar. (7)
Roman de Jaufre.
(1) Jusques là où est mont Oreb,
Puis entendîmes dedans Bethleem.
(2) Quoique fais de joie apparence,
Beaucoup ai au dedans le coeur triste.
(3) Pour le coeur au dedans rafraîchir.
(4) Qui est mauvais dehors et dedans.
(5) D' une demoiselle fut léans visité.
(6) Est se léans tourné asseoir...
Car ne peut de léans sortir.
(7) Chevalier, bien te tiens pour oser,
Parce que oncques céans osas entrer.
JA, JAMAIS, JASSE, jamais, quoique.
Cet adverbe fut dérivé de JAM, JAM MAGIS:
No m do Dieus nul be, à mon viven,
S' ieu JA per re de vos amar mi tuelh. (1)
Arnaud de Marueil: Us jois d' amor.
E JAMAIS no veirai, so cre,
Mon seigner lo rei, ni el me. (2)
Roman de Jaufre.
Cal que m fassatz, o mal o be,
Vos am, e us amarai JASSE. (3)
Arnaud de Marueil: Totas bonas.
Que s' anc virey vas autra part mon fre,
Er sui ab vos remazutz per JASSE. (4)
Pons de Capdueil: Mielhs.
Souvent JA et MAIS sont séparés:
E JA NO voill MAIS de sos pes mover. (5)
Bernard de Ventadour: Quan vei la flor.
E JA non volria MAIS esser residatz. (6)
Arnaud de Marueil: Aissi com cel.
(1) Ne me donne Dieu nul bien, à mon vivant,
Si je jamais pour rien de vous aimer m' ôte.
(2) Et jamais ne verrai, cela crois,
Mon seigneur le roi, ni lui moi.
(3) Quel que vous me fassiez, ou mal ou bien,
Vous aime, et vous aimerai toujours.
(4) Que si oncques tournai vers autre part mon frein,
Maintenant suis avec vous demeuré pour jamais.
(5) Et ja ne veux mais de ses pieds mouvoir.
(6) Et ja ne voudrais mais être réveillé.
Ja peut être considéré quelquefois comme conjonction, et alors il signifie quoique, bien que:
Dona, cui pretz, e jois, e jovens guida,
Ja no m' ametz, totz temps vos amerai. (1)
Arnaud de Marueil: Aissi col peis.
C' est dans ce sens que JA, joint à SIA, a signifié quoique, soit, jaçoit:
“Karles las ac totas entendudas, JA SIA AISSO QUE elhs no s pessavo ges que elh ho agues entendut. (2) Philomena, fol. 59.
Quoique ANC et JA signifient l' un et l' autre jamais, il existe cependant entre eux une distinction importante.
ANC n' est guères employé que pour les temps passés;
Ja ne l' est ordinairement que pour les temps futurs:
E JA non er, ni ANC no fo
Bona dona senes merce. (3)
Giraud le Roux: Auiatz la.
Il y a pourtant des exemples de JA employé avec le passé, et alors il signifie jadis:
E ai JA vist per avol drut
A domna marit desamar. (4)
Guillaume Adhemar: Ieu ai ja.
(1) Dame, que prix, et joie, et jeunesse guide,
Quoique ne m' aimiez, tous temps vous aimerai.
(2) “Charles les eut toutes entendues, ja soit ce qu' ils ne se pensaient aucunement que lui cela eût entendu.”
(3) Et jamais ne sera, ni oncques ne fut
Bonne dame sans merci.
(4) Et ai jadis vu pour vil galant
A dame mari désaimer.
JOS, DE JOS, EN JOS, en bas; SUS, DESUS, sur, dessus.
Jusum et susum, (N. E. yuso, suso, San Millán de la Cogolla) qui avaient la même acception dans la basse latinité (1), fournirent ces adverbes et ces prépositions à la langue romane.
Adverbe.
Qu' ieu lo vi en l' arena
JOS trabucar. (2)
Rambaud de Vaqueiras: El so que pus.
Qu' el Gastinel
Li saup gent DEJOTZ traire. (3)
Rambaud de Vaqueiras: El so que pus.
Tot l' auran abayssat EN JOS. (4)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
L' autre fon noyritz SA JOS pres Cofolen. (5)
Comte de Poitiers: Companho farai.
Préposition.
Del loc alsor
Jos al terral. (6)
Arnaud Daniel: Chanson d' un mot.
(1) “Jusum vis facere Deum, et te susum.”
S. Aug. Tract. VIII, in epist. I, Johan.
“Susum me honoras, jusum me calcas.” S. Aug. Ib. tract. X.
“Et posant arma sua josum.”
Lex Alam. Tit. 45, paragr. 2, capit., t. I, p. 69.
(2) Que je le vis en l' arène
En bas trébucher.
(3) Que le Gastinel
Lui sut gentement de bas tirer.
(4) Tôt l' auront abaissé en bas.
(5) L' autre fut nourri ici bas près Confolens.
(6) De lieu plus élevé
En bas au terrain.
Adverbe.
Qu' es tan poiatz que no sap tornar jos,
Ni sus non vai, tan li par temeiros! (1)
Folquet de Marseille: S' al cor plagues.
El pueg es DESUS grans et autz. (2)
Roman de Jaufre.
Préposition.
Mas car non poc sus el serier montar. (3) (N. E. chap. siré, fruit sirera)
Aimeri: En Berguedan.
E es SUS el caval saillitz. (4)
Roman de Jaufre.
Lo coms cui fon Belcaire
Venc al sembel
DESUS un destrier vaire. (5)
Rambaud de Vaqueiras: El so que pus.
JUSTA, JOSTA, DEJOSTA, jouxte, proche, auprès, comme.
Cette préposition fut dérivée de JUXTA latin.
Quan par la flors JUSTA 'l vert fuelh. (6)
Bernard de Ventadour: Quan par.
Qu' ieu pretz mais jazer nutz e gen
Que vestitz JOSTA peleri. (7)
Rambaud de Vaqueiras: Ben sai e conosc.
(1) Qu' est tant élevé que ne sait retourner en bas,
Ni sus ne va, tant lui paraît dangereux!
(2) L' élévation est dessus grande et haute.
(3) Mais parce que ne put sur le cerisier monter.
(4) Et est sur le cheval sailli.
(5) Le comte à qui fut Beaucaire
Vint au tournois
Dessus un destrier vairon.
(6) Quand paraît la fleur près la verte feuille.
(7) Que je prise plus coucher nud et gentement
Que vêtu comme pélerin.
DEJOSTA 'ls breus jorns e 'ls loncs sers. (1)
Pierre d' Auvergne: Dejosta 'ls breus.
Se la bella on jai
No m' a DEJOSTA se. (2)
Bernard de Ventadour: Pois me preiatz.
LEU, vîte, légèrement; BEN LEU, peut-être, bientôt.
De LEVEM latin fut formé cet adverbe.
LEU signifia vîte, tost, d' après son acception primitive. En joignant BEN à LEU, l' adverbe eut un sens détourné, bien légèrement, peut-être.
Car non podetz tan LEU issir. (3) Roman de Jaufre.
Que qui non avezet aver
Gran be, plus LEU pot sostener
Afan. (4)
P. Raimond de Toulouse: Us novels.
D' amor non dei dire mas be,
Quar non ai ni petit ni re,
Quar BEN LEU plus no m' en cove. (5)
Comte de Poitiers: Pus vezem.
(1) Proche les brefs jours et les longs soirs.
(2) Si la belle où elle gît
Ne m' a auprès soi.
(3) Car ne pouvez tant vîte sortir.
(4) Que qui non accoutuma avoir
Grand bien, plus tôt peut soutenir
Chagrin.
(5) D' amour ne dois dire davantage bien,
Parce que n' en ai ni peu ni rien,
Car peut-être plus ne m' en convient.
E dis que al fuec s' en ira
E BEN LEU aqui trobara
Qui 'l dira novas a son grat. (1)
Roman de Jaufre.
MAIS, MAS, MAI, plus, davantage, excepté, mais.
Ces adverbes et conjonctions vinrent de MAGIS latin.
Adverbe.
Reis dels cortes, e dels pros emperaire
Foratz, senher, s' aguessetz MAIS visqut. (2)
Bertrand de Born: Mon chant.
No 'l prec MAS que s' amor m' autrei. (3)
Arnaud de Marueil: Cui que fin' amors.
Mas qui MAY n' a ab se,
MAI de bon pretz rete. (4)
Arnaud de Marueil: Rasos es.
Quar qui MAIS val, MAIS dopta far faillida. (5)
Arnaud Daniel: Lanquan vei.
Comme adverbe de quantité, il prend les signes de comparaison QUE et DE:
MAS vueilh murir que vivre desonratz. (6)
(1) Et dit qu' au feu s' en ira
Et peut-être là trouvera
Qui lui dira nouvelles à son gré.
(2) Roi des courtois, et des preux empereur
Seriez, seigneur si eussiez davantage vécu.
(3) Ne la prie plus que son amour m' octroie.
(4) Mais qui plus en a avec soi,
Plus de bon prix retient.
(5) Car qui plus vaut, plus craint faire faute.
(6) Plus veux mourir que vivre deshonoré.
Adverbe.
Qu' anc pus la vi, non aic poder en me
MAS d' amar leis e DE far son coman. (1)
Pons de Capdueil: Aissi m' es pres.
Lorsque MAIS signifie hormis, excepté, c'est que le signe de comparaison QUE ou DE est comme sous-entendu:
Per que no us aus preiar MAIS en chantan. (2)
Arnaud de Marueil: Aissi com cel.
Car res no i truep MAS enjan e bauzia. (3)
Bernard de Ventadour: En amor truep.
MAIS se joint explétivement à d' autres adverbes tels que ANC, HUEI, JA, ON, etc., et les renforce.
MAIS conjonction fut beaucoup en usage:
Conjonction.
Vos amarai, vos plassa o us pes,
MAIS moult volgra mais que us plagues. (4)
Berenger de Palasol: Aissi com hom.
MALGRAT, malgré.
MALGRAT, locution employée en sens absolu, devint préposition et conjonction.
Adverbe.
Que, MAL GRAT VOSTRE, us am e us amarai
E, MAL GRAT MIEU; mas amors vos m' atrai. (5)
Gaucelm Faidit: Mais ai poinhat.
(1) Qu' onc depuis que la vis, n' eus pouvoir en moi
Plus qu' aimer elle et que faire son commandement.
(2) Pourquoi ne vous ose prier excepté en chantant.
(3) Car rien n' y trouve hormis tromperie et trahison.
(4) Vous aimerai, vous plaise ou vous pèse,
Mais beaucoup voudrais plus que vous plût.
(5) Que, mal gré votre, vous aime et vous aimerai
Et, mal gré mien; mais amour à vous m' attire.
Adverbe.
Don, MAL MON GRAT, sufria
Penas, e dans, e dolors. (1)
Peyrols: Camjat m' a.
“E Rolland passec, MAL LUR GRAT.” (2) Philomena, fol. 20.
Préposition.
“Elhs autre s' en intrero a la ciutat, MALGRAT de Karle.” (3)
Philomena, fol. 72.
Conjonction.
Car am, MALGRAT qu' ieu n' aia. (4)
Gaucelm Faidit: De faire chanso.
MANTENEN, DE MANTENEN, maintenant, incontinent, immédiatement.
Cet adverbe vint de MANU TENENS, touchant par la main, et exprima la grande proximité et pour l' espace et pour le temps.
Qu' ieu vi ja comensar un pon,
Ab una peira solamen,
Que pois veni' a complimen;
Pueis MANTENEN
Anet cazen. (5) Gaucelm Faidit: S' om pogues.
(1) Dont, mal mon gré, souffrais
Peines, et dommages, et douleurs.
(2) “Et Rolland passa, mal leur gré.”
(3) "Les autres s' en entrèrent à la cité, malgré de Charles."
(4) Car aime, malgré que j' en aie.
(5) Que je vis jadis commencer un pont
Avec une pierre seulement,
Qui puis venait à complément;
Puis incontinent
Alla tombant.
E trais sa spaza MANTENEN. (1)
Roman de Jaufre.
Hueimais parran li ric e ill pro
E 'ls coratjos, ab ardimen,
Al be ferir DE MANTENEN. (2)
Pierre d' Auvergne: Lo senher que.
E Jaufre ven DE MANTENENT
A la porta per on intret. (3)
Roman de Jaufre.
Avec cet adverbe je placerai DE MANES, signifiant subitement, soudainement; il vint peut-être de MANE, de bonne heure, de matin:
On non ten pro ausbercs fortz ni espes,
Si lansa dreit, e pois trais DE MANES
Sajetas d' aur, ab son arc asteiat. (4)
Gaucelm Faidit: A leis cui am.
Qu' amples vestirs porton e bels arnes;
E son arditz e feron De MANES. (5)
Albert: Monges digatz.
(1) Et tire son épée maintenant.
(2) Désormais paraîtront les puissants et les preux
Et les courageux, avec hardiesse,
Au bien frapper incontinent.
(3) Et Jaufre va incontinent
A la porte par où entra.
(4) Où ne tient profit haubert fort et épais,
Ainsi lance droit, et puis tire subitement
Sagettes d' or, avec son arc de corne.
(5) Qu' amples vêtements portent et beaux harnois;
Et sont hardis et frappent subitement.
MENS, MEINS, moins.
Ces adverbes vinrent de MINUS latin.
MENS preza vieure que morir,
Car vieure es trop pietz de mort. (1)
Arnaud de Marueil: Dona sel que.
Quan plus m' esfors, e MEINS me val. (2)
Bernard de Ventadour: Ab cor leial.
Comme plusieurs autres adverbes, MENS fut employé substantivement, et reçut même l' article:
Aissi son finas beltatz,
Que MAIS ni MEINS no i cove. (3)
Bernard de Ventadour: Ab cor leial.
Sitot amors me tormenta
E m' auci, non o planc re,
Qu' AL MENS muer per la plus genta. (4)
Sordel: Ailas! e que m fan.
(1) Moins prise vivre que mourir,
Car vivire est beaucoup pire que mort.
(2) Quand plus m' efforce, et moins me vaut.
(3) Ainsi sont parfaites beautés,
Que plus ni moins n' y convient.
(4) Quoique amour me tourmente
Et me tue, ne cela plains rien,
Vû qu' au moins meurs pour la plus gente.
(5) Que bien peut avoir chevauché
Deux lieues à tout le moins.
A TOT LO MENS forma une locution adverbiale, à tout le moins, au moins:
Que ben pot aver cavalcat
Doas legas A TOT LO MEINTZ. (5)
Roman de Jaufre.
MEST, PER MIEI, PER MIEG, EN MIEG, parmi, au milieu, par le milieu.
Ces prépositions furent dérivées de MEDIUM.
Car aital captenemens
No val MEST las bonas gens. (1)
Bertrand de Born: S' abril e fuelhas.
Guiraut, ben volgra fos say
Aquel bos costums PER MEST nos. (2)
Geoffroi Rudel: Guiraut Riquier.
Troba un cavalier nafrat
D' una lansa PER MIEI lo cors,
D' outra en outra. (3)
Roman de Jaufre.
El rossinhols s' abandona
De chantar PER MIEG lo bruelh;
Belha m' es la retindida
Que fai PER MIEG la giardina. (4)
P. Raimond de Toulouse: Pos lo prims.
Se combaton EN MIEG la via. (5)
Roman de Jaufre.
(1) Car tel gouvernement
Ne vaut parmi les bonnes gens.
(2) Giraud, bien voudrais que fut çà
Ce bon usage parmi nous.
(3) Trouve un chevalier navré
D' une lance par milieu le corps,
D' outre en outre.
(4) Le rossignol s' abandonne
De chanter parmi le bocage:
Bel m' est le retentissement
Que fait parmi le jardin.
(5) Se combattent emmi la voie.
OLTRA, ULTRA, OTRA, outre, au-delà.
D' ULTRA latin vint cette préposition.
Préposition.
Qu' el trametia los breus ULTRA la mar. Poeme sur Boece.
OUTRA la terra Normanda,
Part la fera mar preonda. (2) (N. E. preonda : pregon)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei per miei.
UNCA, ONCAS, ONGAN, OAN, ANC, oncques, onc; ANCMAIS, jamais; ANCSE, toujours; NONCA, jamais. (N. E. se encuentra nunqua)
UNQUAM et NUNQUAM latins fournirent ces adverbes.
E faczia veser li cec que UNCA non havian vist. (3)
La Nobla Leyçon.
La genser e la pus bona
C' ONCAS vezeson miey huelh. (4)
Pierre Raimond de Toulouse: Pos lo prims.
Ni no m vol ONGAN auzir. (5)
Gaucelm Faidit: Lo rossinholet.
No l' auzirem doncx? non ONGUAN. (6)
Pierre Rogiers: Tant ai mon cor.
(1) Qu' il transmettait les brefs au-delà de la mer.
(2) Outre la terre Normande,
Par la cruelle mer profonde.
(3) Et faisait voir les aveugles qui oncques n' avaient vu.
(4) La plus gente et plus bonne
Qu' oncques vissent mes yeux.
(5) Ni ne me veut oncques ouïr.
(6) Ne l' ouïrons donc? non jamais.
So que no cugei far ONGUAN. (1)
Gaucelm Faidit: Lo rossinholet.
D' un sonet vau pensan,
Per solaz e per rire,
Qu' eu no chantai OAN. (2)
Peyrols: d' un sonet.
S' ANC li fi tort, que lo m perdo. (3)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
MAIS se joint souvent à ANC, et parfois à HOGAN:
El maior dol, las! qu' eu ANCMAIS agues. (4)
Gaucelm Faidit: Fortz chausa.
E ja domna non perdre HOGANMAI. (5)
Gaucelm Faidit: Ab nov cor.
Qu' ANCSE amey joc e deport. (6)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
Que sos hom e sos servire
Soi, et ai estat ANCSE. (7)
Gaucelm Faidit: Sitot ai.
Qu' ieu NOQUAM planh, sitot me dol. (8)
Bernard de Ventadour: Lonc temps a.
(1) Ce que ne crus faire jamais.
(2) D' un sonnet vais en pensant,
Pour amusement et pour rire,
Que je chantai oncques.
(3) Si onc lui fis tort, que le moi pardonne.
(4) Le plus grand deuil, hélas! que je jamais eusse.
(5) Et ja dame ne perdre oncques mais.
(6) Que toujours aimai jeu et amusement.
(7) Que son homme-lige et son serviteur
Suis, et ai été toujours.
(8) Que je jamais plains, quoique me fâche.
So que dis qu' a fait aillors
Creza, si NONCA lo jura,
E so qu' en vi desacuelha. (1)
Pierre Rogiers: Al pareissen.
A ORA, ORAS, ARA, AR, ERA, ERAS, ER, ores, maintenant.
Cet adverbe de temps et ses modifications et contractions vinrent d' HORA latin. (2)
Enfans, en dies foren ome fello,
Mal ome foren; A ORA sun peior. (3) Poëme sur Boece.
Si me pregues ERAS la pros comtessa. (4)
Bernard de Ventadour: En amor truep.
Ma la terza ley, la cal es ARA al temps present. (5)
La Nobla Leyçon.
"Lo castel de Laurag ni la forsas que ARA y son ni adenan y seran.” (6)
Acte de 1084. Pr. de l' Hist. de Languedoc t. II, col. 320.
(1) Ce que dit qu' a fait ailleurs
Croie, si jamais le jure,
Et ce qu' en vit désaccueille.
(2) Dans les titres anciens de foi et hommage on lit:
"DE ISTA HORA in antea." Acte de 1025. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, p. 179.
“De AQUESTA HORA adenant." Acte de 1025. Ib.
(3) Enfants, jadis furent hommes félons,
Mauvais hommes furent; à l' heure sont pires.
(4) Si me priât à l' heure la généreuse comtesse.
(5) Mais la troisième loi, laquelle est ores au temps présent.
(6) "Le château de Laurag et les forteresses qui à présent y sont et dorénavant y seront."
Mas so que Merlis
Prophetizan dis
Del bon rey Loys...
ARA s' esclarcis. (1)
Germonde de Montpellier: Greu m' es.
ARAS pot hom conoisser e proar
Que de bos fatz ren Dieus bon guizardo. (2)
Rambaud de Vaqueiras: Aras pot hom.
ARAS quan vei verdeiar. (3)
Rambaud de Vaqueiras: Aras quan vei.
Mais ER vei be que si meteis destrigua
Sel qu' ab amor guerreia ni playeia. (4)
Sail de Scola: Gran esfortz.
Mas ERAS sai ben que vers es
Tal se cuia calfar que s' art. (5)
Arnaud de Marueil: Si que vos.
Dans la même signification, cet adverbe peut se traduire par tantôt:
Mas tan a van cor e doptos,
Qu' ER ai lei, ERA non ai ges. (6)
Bernard de Ventadour: Ja mos chantars.
(1) Mais ce que Merlin
En prophétisant dit
Du bon roi Louis...
Maintenant s' éclaircit.
(2) Ores peut on connaître et prouver
Que de bons faits rend Dieu bon guerdon.
(3) Ores quand vois verdoyer.
(4) Mais à présent vois bien que soi-même embarrasse
Celui qui avec amour guerroye et plaide.
(5) Mais ores sais bien que vrai est
Que tel se croit chauffer qui s' ard.
(6) Mais tant a vain courage et craintif,
Que tantôt ai elle, tantôt n' ai aucunement.
Cet adverbe a plusieurs composés:
ENCAR, ENCARAS, ENQUERAS, etc., de IN HANC HORAM, encore.
Creis la forsa dels Sarrasis;
Jherusalem pres Saladis, (N. E. Saladino)
Et ENCARAS non es cobratz. (1)
Gavaudan le Vieux: Senhors per lo.
Ges ENQUERRAS no puesc serrar mas dens
Qu' ieu del comte non digua sa lauzor. (2)
Aimeri de Peguillan: S' ieu anc chantiei (: chantei).
DESLOR de DE IPSA ILLA HORA, latins, ou de DES et L' ORA, romans, dès-lors:
Que ben conosc qu' anc re non amei tan,
Com ieu fauc lei, DESLORA qu' ieu fui natz. (3)
Gaucelm Faidit: Ara cove.
Anc non agui de mi poder,
Ni no fui mieus DESLOR en sai. (4)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
QUORA vint de QUA HORA, quand:
No sai QUORA m fui endurmitz. (5)
Comte de Poitiers: Farai un vers.
(1) Croît la force des Sarrasins;
Jérusalem prit Saladin,
Et encore n' est recouvrée.
(2) Aucunement encore ne puis serrer mes dents
Que je du comte ne dise sa louange.
(3) Que bien connais qu' oncques rien n' aimai tant,
Comme je fais elle, dès l' heure que je fus né.
(4) Oncques n' eus de moi pouvoir,
Ni ne fus mien dèslors en çà.
No sai QUORA mais la veyrai,
Que tan son nostras terras luenh. (1)
Geoffroi Rudel: Lanquan li jorn.
On a vu précédemment DERENAN, dorénavant.
ONT, ON, où; DUNT, DON, d' où, dont.
Ces adverbes de lieu vinrent de UNDÈ latin (2), auquel parfois fut jointe la préposition DE.
E vos queric lo dur plebs,
Tro lai ONT es mont Oreps. (3)
Pierre d' Auvergne: Dieus vera vida.
Pero 'l pessar no s ne part nuech ni dia;
Ans es pus ferms ON qu' ieu an ni m' estia. (4)
Pierre d' Auvergne: Ab lial cor.
No sai on vauc ni ON me venc. (5)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
Mors fo Mallios Torquator DUNT eu dig. (6)
Poëme sur Boece.
(1) Ne sais quand plus la verrai,
Vû que tant sont nos terres loin.
(2) Pendant le moyen âge on se servait souvent de UNDE:
"Si potebat habere ullam scripturam aut aliam rem UNDE ipsas res partibus suis indicare debeat."
“De id UNDE ille repetit... Quia de his UNDE me mallavit."
Actes de 842 et de 875. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. I, col. 115, 128.
(3) Et vous chercha le dur peuple,
Jusques là où est mont Oreb.
(4) Pourtant le penser ne s' en sépare nuit ni jour;
Au contraire est plus ferme où que j' aille et je sois.
(5) Ne sais où vais ni d' où je viens.
(6) Mort fut Mallius Torquator dont je dis.
Farai un vers DON sui dolens. (1)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
Qui gran cor a de larguezar,
Saber deu DONT o pod traire. (2)
Gaucelm Faidit: Cascus deu.
Quant lo vic, Karles apelec lo: E DON ves?" (3) Philomena, fol. 13.
E pois d' amor mais no m cal,
Non sai DON ni de que chan. (4)
Folquet de Marseille: Chantars.
Cet adverbe de lieu ON se joint à QUE et à PLUS:
“Moble et non moble ON QUE sia, ni qual que sia.” (5)
Acte de 1209. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. III, col. 319.
Si qu' ab lieys es ON qu' ieu an ni estia. (6)
Blacas: Bel m' es ab motz.
Mas per so chant c' oblides la dolor
E 'l mal d' amor;
Et ON PLUS chan, plus m' en sove. (7)
Folquet de Marseille: En chantan.
C' ades me fug, ON PLUS l' apel. (8)
Bernard de Ventadour: Ab cor leial.
(1) Ferai un vers de quoi suis dolent.
(2) Qui grand desir a de prodiguer,
Savoir doit d' où cela peut tirer.
(3) "Quand le vit, Charles appela le: Et d' où viens?"
(4) Et depuis que d' amour plus ne me soucie,
Ne sais d' où ni de quoi je chante.
(5) "Meuble et non meuble où que soit, et quel que soit."
(6) Tellement qu' avec elle est où que j' aille et sois.
(7) Mais pour ce je chante que j' oubliasse la douleur
Et le mal d' amour;
Et où plus je chante, plus m' en souvient.
(8) Que toujours me fuit, où plus l' appelle.
OU, O, QUE, où.
D' UBI latin fut formé OU, et ensuite o dans la même acception.
Et souvent le QUE indéclinable fut employé dans le sens de QUO LOCO, QUA DIE:
Lo mas O intra inz es en gran claritat. (1)
Poëme sur Boece.
Cazut sui de mal en pena;
E vau lai O 'l cors mi mena. (2)
Bertrand de Born: Cazut sui.
Que non es jorns QU' ieu no sospir. (3)
Bernard de Ventadour: En abril.
E 'l Lazer ressorsis vos
QU' era ja quatredians. (4)
Pierre d' Auvergne: Dieus vera vida.
Ieu chant QUE devria mielhs plorar. (5)
Bernard de Ventadour: En abril.
Estat aurai estas doas sazos
QUE non chantey, e fas hy mon dampnatge. (6)
Guillaume de Saint-Didier: Estat aurai.
(1) La demeure où entre dedans est en grande clarté.
(2) Tombé suis de mal en peine;
Et vais là où le coeur me mène.
(3) Que n' est jour où je ne soupire.
(4) Et le Lazare ressucitâtes vous
Qu' il était déja quatridien.
(5) Je chante où devrais mieux pleurer.
(6) Été j' aurai ces deux saisons
Que ne chantai, et fais y mon dommage.
PART, parmi, par, à travers, au-delà.
Cette préposition vient du latin PARTIM.
Outra la terra Normanda,
PART la fera mar preonda. (1)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei per miei.
Aquest deu sobre totz granar,
E PART los autres emerar. (2)
Comte de Poitiers: Mout jauzens.
Reis Castellas, vostra valor se tria
PART las valors que tug l' autre rey an. (3)
Folquet de Lunel: Al bon rei.
PAUC, peu. (N. E. : poc)
J' aurais pu ne pas parler de cet adverbe, attendu que sa dérivation de PAUCE latin est si évidente, qu' elle n' exige aucune explication; et par cette raison, je ne parlerai pas de plusieurs autres adverbes tels que BENЕ, MULTUM, etc.; mais PAUC, précédé d' AB ou A, devient une locution conjonctive signifiant avec peu, peu s' en faut que, et je dois en avertir:
AB PAUC ieu d' amar no m recre,
Per enueg de lauzenjadors. (4)
Arnaud de Marueil: Ab pauc.
(1) Au-delà de la terre Normande,
Parmi la sauvage mer profonde.
(2) Celui-là doit sur tous grainer,
Et au-dessus des autres briller.
(3) Roi Castillan, votre valeur on distingue
Au-delà des valeurs que tous les autres rois ont.
(4) Peu s' en faut que je d' aimer ne me lasse,
Per ennui des médisants.
Que m fan sufrir tan greu turmen,
Qu' A PAUC lo cor d' ir' e d' esmai no m fen. (1)
Pons de Capdueil: Ben sai.
On aura remarqué qu' après cette conjonction le verbe reçoit toujours la négation NO.
PER, par, pour, à cause de, au moyen de, en qualité de, etc.
La préposition latine PER ne subit aucun changement; et elle eut beaucoup plus d' acceptions.
Leu li juraria,
PER Dieu e PER ma fe,
Qu' el bes que m faria
No fos saubutz PER me. (2)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei la fuelha.
L' autre dia, PER un mati,
Trespassava PER un simmelh. (3)
Gavaudan le Vieux: L' autre dia.
Ben es fols qui l' arm' ublida
PER aquesta mortal vida. (4)
Barthelemi Zorgi: Jesu Christ.
(1) Qui me font souffrir tant grief tourment,
Que peu s' en faut que le cœur de tristesse et d' émoi ne me fende.
(2) Facilement lui jurerais,
Par Dieu et par ma foi,
Que le bien que me ferait
Ne fût su par moi.
(3) L' autre jour, par un matin,
Passais par un côteau.
(4) Bien est fou qui l' âme oublie
Pour cette mortelle vie.
E laissa son parlar PER nos...
E digas lor que PER m' amor
Aucizo 'l cat. (1)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
Mort m' a, e PER mort li respon. (2)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
PER joint à l' O roman, signifie pour ce, pour cela,
pourtant:
PERO no soi del tot desesperat. (3)
Arnaud de Marueil: Aissi col peis.
Suivi de QUE, il devient conjonction, et signifie par quoi, c'est pourquoi:
Que plus etz blanca qu' evori;
PER QU' IEU autra non azori. (4)
Comte de Poitiers: Farai chansoneta.
Peccatz a tan dossa sabor!
PER QUE Adams lo pom trazic. (5)
Gavaudan le Vieux: Patz passien.
Il signifie aussi pourquoi:
PER QUE US vulhetz metre monja? (6)
Comte de Poitiers: Farai chansoneta.
(1) Et laisse son parler pour nous...
Et dis leur que pour mon amour
Tuent le chat.
(2) Tué m' a, et pour mort lui réponds.
(3) Pour ce ne suis du tout désespéré.
(4) Que plus êtes blanche qu' ivoire;
Par quoi je autre n' adore.
(5) Péché a tant douce saveur!
C' est pourquoi Adam la pomme prit.
(6) Pourquoi vous voulez mettre none?
On a vu précédemment que PER, pour, devant le présent de l' infinitif, remplissait la fonction du gérondif en DUM:
De bon engenh ad ops d' amar,
PER servir, et PER tener car,
E PER selar, e PER sofrir. (1)
Arnaud de Marueil: Totas bonas.
PIETZ, PIEGZ, PIEZ, pire, plus mal.
Cet adverbe de comparaison vint de PEJUS.
Quar PIETZ trai que si moria
Qui pauc ve so qu' ama fort. (2)
Sordel: Aylas! et que m fan.
Sa guerra m' es mortals,
E sa patz PIETZ de martire. (3)
Rambaud de Vaqueiras: Guerras.
PLUS, PUS, plus, davantage.
Cet adverbe de comparaison, venu du latin PLUS, n' exige aucune explication.
J' ai déja fait remarquer que parfois la langue romane l' employa précédé de l' adverbe de lieu ON.
(1) De bonne adresse à l' ouvrage d' aimer,
Pour servir, et pour tenir cher,
Et pour celer, et pour souffrir.
(2) Car pire traîne que si mourrait
Celui qui peu voit ce qu' aime fort.
(3) Sa guerre m' est mortelle,
Es sa paix pire que martyre
POS, PUS, POIS, PUEIS, PUOIS, DE POIS, POISAS, POIS QUE,
puis, après, depuis, pieçà, depuis que, puisque.
De POST latin furent dérivés ces adverbes et conjonctions.
Adverbe. Car si fa mal, POIS abena. (1)
Bernard de Ventadour: Amics Bernart.
Plus que d' autra qu' ieu vi PUEIS ni abans. (2)
Berenguer de Palasol: Tan m' abelis.
E POISAS delivrar los ai. (3)
Roman de Jaufre.
E anc DEPUOIS no fui ses gilozia. (4)
Augier: Erransa.
Conjonction.
Car vieure es trop pietz de mort,
PUS c' om non a joi ni deport. (5)
Arnaud de Marueil: Dona sel que.
Le QUE est parfois sous-entendu:
E PUS no m puesc de vos amar sofrir,
Per merce us prec e per humilitat,
Qu' en vos trobes qualaquom pietat. (6)
Arnaud de Marueil: Si m destreignetz.
(1) Car si fait mal, puis fait bien.
(2) Plus que d' autre que je vis après et avant.
(3) Et pieçà délivrer les ai.
(4) Et oncques depuis ne fus sans jalousie.
(5) Car vivre est beaucoup pire que mort,
Depuis qu' on n' a joie ni amusement.
(6) Et puisque ne me puis de vous aimer cesser,
Par merci vous prie et par humilité,
Qu' en vous trouvasse quelque pitié.
Conjonction.
Pus fom amdui enfan,
L' ai amad' e la blan. (1)
Bernard de Ventadour: Lo gens temps de pascor.
A PRESEN, à découvert, à présent, maintenant.
Cet adverbe signifia à découvert, ad presentiam, et, par sens détourné, maintenant, ad presens tempus.
Si non per aital coven
Que lui ames A PRESEN,
E que y agues senhoria;
E mi seladatemen. (2)
Gaucelm Faidit: N' Ugo de la.
Mas ieu no l' aus descubrir mon talan,
Si no o fes A PRESEN en chantan. (3)
Pistoleta: Anc mais nulhs.
PROP, APROP, DE PROP, EN APROP, PRES, proche, près, après.
Ces adverbes et ces prépositions vinrent de PROPE latin.
Adverbe.
C' anc tan non amey luenh ni PROP. (4)
Arnaud de Marueil: Dona sel que.
(1) Depuis que fûmes tous deux enfants,
L' ai aimée et la flatte.
(2) Si non par tel accord
Que lui aimât à découvert,
Et que y eût domination;
Et moi couvertement.
(3) Mais je ne lui ose découvrir mon desir,
Si ne le fisse à-présent en chantant.
(4) Qu' onc tant n' aimai loin ni proche.
De tal doussor sui resplenitz,
Quan DE PROP la puesc remirar. (1)
Bernard de Ventadour: Quan lo boscatges.
APRES comensa sa rason...
EN APRES viron un vassal. (2)
Roman de Jaufre.
Préposition.
Ben volgra que Limosis
Fos plus PROP de Mauretainha. (3)
Folquet de Marseille: Ja no volgra.
L' autre fon noyritz sa jos PRES Cofolen. (4)
Comte de Poitiers: Companho farai.
Qu' ieu sia, per sa comanda,
PRES del lieg josta l' esponda. (5)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei per miei.
S' APROP cent braus respos,
En fos d' un joi pagatz. (6)
Blacas: Lo bels douz temps.
Cal prezatz mais, e respondetz premiers;
Et, APROP VOS, respond' En Perdigos. (7)
Rambaud d' Orange: En Azemars.
(1) De telle douceur suis rempli,
Quand de près la puis voir.
(2) Après commence sa raison...
Après virent un vassal.
(3) Bien voudrais que Limousin
Fût plus près de Mortagne.
(4) L' autre fut nourri çà bas près Confolens.
(5) Que je sois, par son commandement,
Près du lit juste au bord.
(6) Si après cent dures réponses,
En fusse d' une joie payé.
(7) Quel prisez plus, et répondez premier;
Et, après vous, réponde sieur Perdigon.
Préposition.
Molt valra 'l bens APRES l' afan. (1)
Bernard de Ventadour: Non es meraveilla.
Je place ici SEGUENTRE, signifiant aussi après.
Préposition.
E de seguentre lui, manj 'en lo reis Franceis. (2)
Sordel: Planher vuelh.
APRES, avec le QUE, devient conjonction.
QUAN, QUANT, CAN, CANT, LANQUAN, quand, lorsque.
Cette conjonction fut formée de QUANDO latin.
QUANT ieu serai partit de vos. (3)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
Ordinairement le T final n' est conservé que devant les voyelles.
De ILLO ANNO QUANDO vint LANQUAN (ilLO ANno QUANdo):
LANQUAN fuelhon bosc e guarric. (4)
Bernard de Ventadour: Lanquan fuelhon.
QUANT, autant, autant que, combien.
Cet adverbe vint de l' adverbe latin QUANTUM.
Il ne quitte jamais le T final.
E QUANT aurem de tort et de peccat,
Trobarem totz al jorn del jutjamen. (5)
Folquet de Romans: Quan lo dous temps.
(1) Beaucoup vaudra le bien après le chagrin.
(2) Et après lui, mange en le roi Français.
(3) Quand je serai séparé de vous.
(4) Lorsque feuillent bois et forêts.
(5) Et autant que aurons de tort et de péché,
Trouverons tous au jour du jugement.
Halas! QUANT cuiava saber
D' amor, e QUANT petit en sai! (1)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
QUAR, CAR, car, parce que, pourquoi, à cause que, c' est pourquoi.
Cette conjonction fut dérivée de QUARE latin.
CAR ilh avian invidia, CAR la gent lo seguia. (2)
La Nobla Leyçon.
Per Deu e per merce, vos clam
Que no us sia greu CAR vos am. (3)
Arnaud de Marueil: Totas bonas.
Il est quelquefois employé dans le sens de QUE:
Gentils dona, plazens tan m' es,
Car vos am sobre onratz honors. (4)
Blacasset: Ben volgra.
Amors, alegres part de vos,
Per so car vau mon miels queren. (5)
Geoffroi Rudel: Quan lo rossignols.
(1) Hélas! Combien cuidais savoir
D' amour, et combien peu en sais!
(2) Car ils avaient envie, parce que la gent le suivait.
(3) Par Dieu et par merci, vous crie
Que ne vous soit grief parce que vous aime.
(4) Gentille dame, plaisante tant m' êtes,
Que vous aime au-dessus d' honorés honneurs.
(5) Amour, alegre me sépare de vous,
Pour ce que vais mon mieux cherchant.
SEGON, SEGON QUE, selon, selon, selon que.
SECUNDUM latin produisit cette préposition et cette conjonction.
Préposition.
Mas, SEGONT lor poer, hi fan empachament. (1)
La Nobla Leyçon.
(1) Qu' ieu non vuelh, dona, joi ni be,
Mas SEGON la vostra merce. (2)
Arnaud de Marueil: Dona sel que.
Conjonction.
SEGON QUE s pot sempre faire. (3)
Pierre d' Auvergne: Ab fina joia.
SEMPRE, toujours.
Par une légère modification (metátesis ER : RE), très usitée dans la langue romane, cet adverbe vint de SEMPER latin.
Que tota ora SEMPRE vai chaden. (4)
Poëme sur Boece.
SENES, SENS, SES, SANS, sans.
De SINE latin fut formée cette préposition qui reçut diverses modifications.
Tots sos faitz sap acabar e complir
Ab segur sen, SES reguart de faillir, (5)
(1) Mais, selon leur pouvoir, y font empêchement.
(2) Que je ne veux, dame, joie ni bien,
Excepté selon la votre merci.
(3) Selon que se peut toujours faire.
(4) Qui à toute heure toujours va en tombant.
(5) Tous ses faits sait achever et accomplir
Avec sûr sens, sans danger de faillir.
E SES mal gienh, SES blasm' e SENS folia,
SES enveg dir, e SENES vilania. (1)
Berenguer de Palasol: Aital dona cum.
“En la sua potestat de Guillem lo tournara SANS deception.” (2)
Acte de 1059. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, col. 230.
SI, si.
La conjonction latine SI fut employée sans modification.
Mort sui, SI us am; e mort, SI m part de vos. (3)
Giraud le Roux: Auiatz la derreira.
Dona, SI no us vezon mei huelh,
Ben sapchatz que mos cors vos ve. (4)
Bernard de Ventadour: Quan par la flors.
Souvent l' I subit l' élision.
SI, ainsi; SI QUE, tellement que; AISSI, ainsi, de même.
Cet adverbe vint du latin SIC.
SI t' o tenrei... E SI t' o tendrai, e SI O atendrai a ti.” (5)
Actes de 960. MS. de Colbert.
(1) Et sans male adresse, sans blâme et sans folie,
Sans envie dire, et sans vilenie.
(2) "En la sienne puissance de Guillaume le rendra sans déception."
(3) Mort suis, si vous aime; et mort, si me sépare de vous.
(4) Dame, si ne vous voient mes yeux,
Bien sachez que mon coeur vous voit.
(5) "Ainsi te cela tiendrai... Et ainsi te cela tiendrai, et ainsi cela conserverai à toi."
Us amicx et una amia,
Sordel, an SI un voler,
C' a lur semblan, non poiria
L' us ses l' autre joi aver. (1)
Guillaume de la Tour: Us amicx.
Ja dous' amors, que m' a conques,
Me ten SI QUE no m vir alhors! (2)
Blacasset: Ben volgra.
Parfois il signifie cependant, pourtant:
Mi faitz orguelh en digz et en parvensa;
E SI etz francs vas totas autras gens. (3)
Comtesse de Die: A chantar m' er.
Et d' autres fois alors:
"Al temps qu' En Richartz era coms de Peitieus, ans qu' el fos reis, Bertrans de Born SI era sos enemics, per so qu' En Bertrans volia ben al rei jove.” (4) Argum. de la Sirvente: NON PUOSC, MS. de la Bibl. roy. 7225.
AISSI vint de SIC en y joignant A:
Paure era Nostra Dona, e Joseph ASI. (5)
La Nobla Leyçon.
(1) Un ami et une amie,
Sordel, ont tellement même vouloir,
Qu' à leur avis, ne pourrait
L' un sans l' autre joie avoir.
(2) Déja douce amour, qui m' a conquis,
Me tient tellement que ne me tourne ailleurs.
(3) Me faites orgueil en dits et en apparence,
Et pourtant êtes franc vers toutes autres gens.
(4) "Au temps que sire (mossen : En) Richard était comte de Poitou, avant qu' il fût roi, Bertrand de Born alors était son ennemi, parce que sire Bertrand voulait bien au roi jeune.”
(5) Pauvre était Notre Dame, et Joseph aussi.
Quant AISSI auzets esbaudir
Lo rosignolet (rossignolet) nuoit e jorn. (1)
Bernard de Ventadour: Amics Bernartz.
EN AISSI fos pres, com ieu sui,
Mos Alvernhatz, e foram dui. (2)
Bernard de Ventadour: Lo rossignols.
Il peut être suivi du QUE:
E sui AISSI meitadatz,
QUE no m desesper,
Ni aus esperans' aver. (3)
Folquet de Marseille: Uns volers.
On a vu précédemment AISSI COM, COSSI, etc.
Conjonction.
C' AISSI COM sai perdonaran,
Sapchatz c' aital perdon auran
Lai on er fatz lo jutjamen. (4)
Pons de Capdueil: En honor del.
ALTRESI venant du latin ALTERUM SIC signifia aussi, de même, et prit quelquefois COM:
Adverbe.
Mas er es temps que diz hom de mal be,
Et ATREISI, que del ben diz hom mal. (5)
(1) Quant ainsi oyez esbaudir
Le rossignol nuit et jour.
(2) Ainsi fût pris, comme je suis,
Mon Auvergnat, et serions deux.
(3) Et suis ainsi divisé par moitié,
Que ne me désespère,
Ni ose espérance avoir.
(4) Qu' ainsi comme çà pardonneront,
Sachez que tel pardon auront
Là où sera fait le jugement.
(5) Mais à-présent est temps que dit on du mal bien,
Et aussi, que du bien dit on mal.
Conjonction.
ATRESI COM l' orifans
Que, quan chai, no s pot levar. (1)
Richard de Barbezieux: Atresi com.
De SIC latin fut dérivée la particule affirmative SI, oui:
(N. E. ¿Y de dónde proviene la partícula afirmativa OC?)
La ley velha deffent solament perjurar,
E plus de SI o de no non sia en ton parlar. (2)
La Nobla Leyçon.
SITOT, quoique, bien que.
Conjonction.
E SITOT Venta freg' aura,
L' amor qu' ins el cor mi muev, (mueu : mou)
Mi ten caut, on plus yverna. (3)
Arnaud Daniel: Ab guay so.
E s' aman muer, domna, sui merceians,
Qu' en la mort prenc honor, SITOT m' es dans. (4)
Blacasset: Si m fai.
SIVALS, du moins, pourtant.
Adverbe.
S' a lieis no platz qu' entenda en s' amor,
Tos temps SIVALS retrairai sa valor. (5)
Pons de Capdueil: Un guai descort.
(1) De même que l' éléphant
Qui, quand tombe, ne se peut relever.
(2) La loi vieille défend seulement parjurer,
Et plus que si ou que non e soit en ton parler.
(3) Et quoique vente froid air,
L' amour qui au-dedans du cœur me meut,
Me tient chaud, où plus hiverne.
(4) Et si en aimant meurs, dame, suis remerciant,
Vû qu' en la mort prends honneur, bien que m' est dommage.
(5) Si à elle ne plait que prétende en son amour,
Tous temps pourtant retracerai sa valeur.
Adverbe.
L' an molt de remaner pregat,
SIVALS tro que agues manjat. (1)
Roman de Jaufre.
SOBRE, DESOBRE, sur, dessus; SOTZ, DESOTZ, sous, dessous.
SUPER et SUBTUS latins produisirent ces prépositions et adverbes.
Préposition.
SOBRE sans li juraria
C' autre jois el mon no m sia. (2)
Bernard de Ventadour: En cossirier.
Mas ilh val SOBR' ellas mais,
Tant quant val aurs plus qu' arena. (3)
Bertrand de Born: Cazutz sui de mal.
Chantan DESOBRE la verdor. (4)
Roman de Jaufre.
E 'ls riu son clar DESOBRE los sablos. (5)
Bernard de Ventadour: Belh Monruelh.
Adverbe. “Sant Peyre fo pausa en la croc, li pe DESOBRE e lo cap DESOT.” (6) (N. E. chap. San Pere va sé posat a la creu, los peus a dal y lo cap abaix.)
Doctrine des Vaudois.
Préposition.
Que re mais SOTZ cel non envei. (7)
Bernard de Ventadour: Lanquan fuelhon.
(1) L' ont moult de rester prié,
Du moins jusqu' à ce que eût mangé.
(2) Sur saints lui jurerais
Qu' autre joie au monde ne me soit.
(3) Mais elle vaut au-dessus d' elles plus,
Autant que vaut or plus qu' arène.
(4) En chantant sur la verdure.
(5) Et les ruisseaux sont clairs dessus les sables.
(6) "Saint Pierre fut placé en la croix, les pieds dessus et le chef dessous."
(7) Que rien plus sous ciel n' envie.
Adverbe.
Per qu' es DESSUS e 'ls autres son DESOTZ. (1)
Rambaud de Vaqueiras: Aras pot hom.
Préposition.
Sicum l' auzel son tug SOTZ Aurion,
Son las autras SOTZ la gensor del mon. (2)
Bertrand de Born: Quan la novella.
SOVEN, SOVENT, souvent.
Cet adverbe fut dérivé de SÆPE.
Bon conseil vos don e gen:
Amaz e cantaz SOVEN. (3)
Peyrols: Quant amors.
TANT, TAN, AITAN, ALTRETAN, tant, autant.
Ces adverbes furent formés de TANTUM.
TAN de bon cor vos am! (4)
Arnaud de Marueil: Ses joi non es.
TAN gais e TAN amoros
Eraz en vostras chansos. (5)
Peyrols: Quant amors.
Can vi que TAN fort fos feritz,
Cuiei me que fosetz fenitz. (6)
Roman de Jaufre.
(1) Pourquoi est dessus et les autres sont dessous.
(2) De même que les oisels sont tous au-dessous Orion,
Sont les autres au-dessous la plus gente du monde.
(3) Bon conseil vous donne et gent:
Aimez et chantez souvent.
(4) Tant de bon coeur vous aime!
(5) Tant gai et tant amoureux
Étiez en vos chansons.
(6) Quand vis que tant fort je fusse frappé,
Cuidai moi que fussiez mort.
TAN devient conjonction, en recevant QUAN:
Conjonction.
Que TAN QUAN solelhs raya,
Non a domna cui tan ricx pretz s' eschaia. (1)
Pons de Capdueil: Humils e fis.
TAN QUAN ten terra ni dura. (2)
Bernard de Ventadour: Lanquan fuelhon.
Adverbe.
Qu' ieu fui d' AITAN melhuratz
Qu' ome de mi no vey plus ric. (3)
Bernard de Ventadour: Lanquan fuelhon.
TAN m' es greu que trichaire
Aia joy ab engan,
O plus, o ALTRETAN,
Com cel qu' es fis amaire! (4)
Bernard de Ventadour: Quan la doss' aura.
AB TANT, AB AITANT, signifièrent pourtant, cependant, alors.
Adverbe.
AB TANT lo seneschals escrida. (5)
Roman de Jaufre.
AB AITANT lo reis aras sona
Son nebot mon senher Galvan. (6)
Roman de Jaufre.
(1) Que autant que soleil rayonne,
N' a dame à qui tant riche prix échoie.
(2) Autant que terre tient et dure.
(3) Que je fus d' autant amélioré
Qu' homme que moi ne vois plus puissant.
(4) Tant m' est grief que trompeur
Ait joie avec tromperie,
Ou plus, ou autant,
Comme celui qui est pur amant.
(5) Cependant le sénéchal s' écrie.
(6) Cependant le roi ores sonne
Son neveu mon seigneur Gauvain.
PER TAN signifia pourtant:
E si m fetz mal, e no m voletz aver
Franc chauzimen, ges PER TANT no m n' irais. (1)
Pons de Capdueil: Tant m' a donat.
TAN NI QUAN, tant et quant, aucunement, jamais.
Ges no m recre d' amar lei TAN NI QUAN. (2)
Gaucelm Faidit: Era cove.
Mas no y a d' ira TAN NI QUAN,
Qu' el dans n' es pros e 'l mals n' es bes. (3)
Pierre Rogiers: Tant ai mon cor.
TOST, tôt, bientôt, vîte.
E cort tan TOST que res no il pot fugir. (4)
Gaucelm Faidit: A leis cui am.
Cansos, vai t en TOST en corren. (5)
Gaucelm Faidit: S' om pogues.
TOT, DEL TOT, totalement, du tout, entièrement.
Cet adverbe dérivé du latin fut employé parfois avec une préposition et l' article:
Per que m sui DEL TOT a vos donatz. (6)
Arnaud de Marueil: Aissi com cel c' ama.
(1) Et si me faites mal, et ne me voulez avoir
Franc choix, aucunement pourtant ne m' en irrite.
(2) Nullement ne me lasse d' aimer elle tant et quant.
(3) Mais n' y a de tristesse aucunement,
Vû que dommage en est profit, et le mal en est bien.
(4) Et court tant vîte que rien ne la peut fuir.
(5) Chanson, va-t-en vîte en courant.
(6) Pourquoi me suis entièrement à vous donné.
Parfois cet adverbe se joint à des adverbes ou conjonctions:
TOT ALTRESI, TOT QUANT, TOT AISSI COM, etc.
Souvent l' adjectif TOT est employé avec des substantifs romans en locution adverbiale.
TOTZ JORNS, TOTA DIA, TOTZ TEMPS, TOTAS SAZOS, TOTAS HORAS, TOTA VIA, etc., signifièrent toujours, sans cesse, en tous temps, etc.
On a vu des exemples de toutes ces locutions.
TRAVERS, travers.
Cette préposition fut formée du latin TRANSVERSUS.
E puois c' A TRAVERS non poinha. (1)
Arnaud Daniel: Lanquan son passat.
C' A TRAVERS lo 'n a tot trencat. (2)
Roman de Jaufre.
TROP, très, trop.
TROPPUS, dans la basse latinité, signifiait multitude, foule, troupeau:
Si en TROPPO de jumentis. LEX ALAMAN. Tit. 72, §. I.
On peut conjecturer que ce mot a fourni l' adverbe roman TROP, qui a le sens de beaucoup, très, trop. Voici des exemples de la première acception:
“Perdigons si fo joglars, e sap TROP ben violar e trobar.” (3)
Vie de Perdigon. MS. de la Bibl. du Roi, 7225, fol. 49.
(1) Et puis qu' à travers ne pique.
(2) Qu' à travers l' en a tout tranché.
(3) “Perdigon assurément fut jongleur, et sut très bien jouer de la vielle
et trouver.” (N. E. violar: tocar la viola)
“TROP e mielhs estarem a nostra guisa.” (1) Philomena, fol. 21.
TROP ameron lo mont, e poc lo paradit. (2) La Nobla Leyçon.
E si merces ab vos non a que faire,
Ma vida m val TROP meins que si moria. (3)
Arnaud de Marueil: Aissi com selh.
Voici des exemples de la seconde acception:
Per qu' om no s deu per gaug TROP esjauzir,
Ni per ira TROP esser anguoyssos. (4)
Gaucelm Faidit: Maintas sazos.
E sacha qu' en breu la veirai,
Si TROP grands afars no m' en te. (5)
Pierre Rogiers: Tant ai mon cor.
TRUESCA, DUESCA, jusque.
Ces prépositions furent dérivées d' USQUE latin, en y joignant DE et TRO romans.
DUESC' al jorn que ajorna. (6)
Arnaud Daniel: Lanquan vei.
Com el a pres d' Agen TRUESC' a Clermon. (7)
Bertrand de Born: Quan la novella.
(1) “Beaucoup et mieux serons à notre guise."
(2) Beaucoup aimèrent le monde, et peu le paradis.
(3) Et si merci avec vous n' a que faire,
Ma vie me vaut beaucoup moins que si mourais.
(4) Pourquoi on ne se doit par joie trop réjouir,
Ni par tristesse trop être angoisseux.
(5) Et sache qu' en peu la verrai,
Si trop grande affaire ne m' en tient.
(6) Jusques au jour qui éclaire.
(7) Comme il a pris d' Agen jusques à Clermont.
VES, VAS, VAIS, ENVES, ENVERS, DEVES, vers, envers, en comparaison, devers.
VERSUS latin produisit cette préposition, qui fut diversement modifiée:
Préposition.
E EVERS Deu no torna so talant. (1)
Poëme sur Boece.
VES se me tira com aimanz. (2)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei per miei.
VAS qual part tenrem, ni vas on
Penre port! tot lo cor m' en fon. (3)
Augier: Cascus plor.
Ma chansos
An VAIS Vos,
Amia, lai on etz. (4)
Gaucelm Faidit: Per l' esguar.
Eras no sai DEVES qual part me vire. (5)
Pons de la Garde: Sitot no m' ai.
Quan la doss' aura venta
DEVES vostre pays. (6)
Bernard de Ventadour: Quan la doss' aura.
(1) Et envers Dieu ne tourne sa volonté.
(2) Vers soi me tire comme aimant.
(3) Vers quelle part tiendrons, et vers où
Prendre port! tout le coeur m' en fond.
(4) Ma chanson
Va vers vous,
Amie, là où êtes.
(5) Ores ne sais devers quelle partie me tourne.
(6) Quand le doux vent souffle
Devers votre pays.
Préposition.
Qu' en aissi sui enganada e trahida,
Com si agues VAS lui fag falhimen. (1)
Comtesse de Die: A chantar.
Que tuit son fals VAS mi li plus leial. (2)
Bernard de Ventadour: Quan par la flors.
Digas li que mos Azimans
Mi ten quar ENVAS lei non vau. (3)
Bernard de Ventadour: Ges de chantar.
Conjonction.
Totz autres joys fora petitz,
VAS QUE lo mieus joys fora grans. (4)
Bernard de Ventadour: Pels dolz chans.
VETI, VECVOS, VEUS, voi toi, voyez vous, voici, voilà.
Cette préposition qui remplace l' ECCE latin, signifie voyez, voyez ici.
VETI que per encantamen
Fes pantayar verayamen
A ta molher qu' el delivresses. (5)
La Passio de Jhesu Crist.
VECVOS del vers la fi. (6)
Geoffroi Rudel: Lanquan vei.
(1) Qu' ainsi suis trompée et trahie,
Comme si eusse vers lui fait faute.
(2) Que tous sont faux en comparaison de moi les plus loyaux.
(3) Dis lui que mon Azimant
Me tient que vers elle ne vais.
(4) Toute autre joie serait petite,
En comparaison de ce que la mienne joie serait grande.
(5) Voici que par enchantement
Fit réver véritablement
A ta femme que le délivrasses.
(6) Voici du vers la fin.
“E mentre que elhs estavan en aquest parlament, de la valh VECVOS un messager de Karle.” (1) Philomena, fol. 13.
VEUS tot lo tort en que m' avetz trobat. (2)
Arnaud de Marueil: Si m destreignetz.
VEUS m' al vostre comandamen. (3)
Bernard de Ventadour: Non es meraveilla.
Dans le poème sur Boece on trouve:
FEVOS Boeci cadegut en afan. (4)
Poëme sur Boece.
(1) "Et tandis qu' ils étaient en ce parlement, de la vallée voici un messager de Charles.”
(2) Voilà tout le tort en quoi m' avez trouvé.
(3) Voici moi à votre commandement.
(4) Voici Boece tombé en souci.
Après avoir exposé l' origine et la dérivation de la plupart des adverbes, prépositions, et conjonctions de la langue romane, il me reste à faire séparément un examen rapide de ces divers éléments du discours.
Adverbes Romans.
En général, les adverbes peuvent être définis des adjectifs indéclinables, qui, s' attachant quelquefois à l' adjectif ordinaire, et le plus souvent au verbe, remplissent à leur égard la même fonction que remplit l' adjectif déclinable, alors qu' il modifie le substantif auquel il se rapporte.
J' établis cinq divisions au sujet des adverbes romans.
La première division concerne les adverbes terminés en MEN;
La seconde ceux qui n' ont pas cette terminaison, soit qu' ils aient été dérivés du latin, soit qu' ils aient été formés extraordinairement par la langue romane;
La troisième s' applique aux adjectifs qui remplissent la fonction d' adverbes, parce qu' ils sont employés neutralement et en forme absolue;
La quatrième indique l' usage de la grammaire romane, qui employe souvent substantivement plusieurs de ses adverbes, lesquels deviennent alors sujets ou régimes, et même reçoivent l' article qui caractérise ordinairement les substantifs ou les noms employés substantivement;
La cinquième est relative à l' usage des locutions adverbiales dans la langue romane.
Première division.
Adverbes romans en men.
Dans les éléments de la grammaire romane avant l' an 1000, j' ai indiqué de quelle manière s' était formée la désinence caractéristique MENT de la plupart des adverbes de cette langue.
MENT de MENTE latin étant féminin, l' adjectif roman, auquel il a été joint pour former un adverbe, a pris nécessairement la terminaison qui appartient au genre féminin:
“Ne no l' en decebra ne malament.” (1) Acte de 960. Ms. de Colbert.
Mais quand l' adjectif était du genre commun, il n' a pas pu prendre la terminaison féminine A:
Qu' ieu vos sia homs, mas juntas, HUMILMEN. (2)
Arnaud de Marueil: Us joys d' amor.
Je dois faire deux observations particulières:
1.° Ces adverbes sont assez arbitrairement terminés en MENT, MEN, ou MENS. (3)
2° Quelquefois ils sont précédés d' une préposition. (4)
(1) “Ni ne l' en trompera ni malement.”
Belamen p. 304. Diversamen 116. Finamen 191.
Guayamen 138. Malament 169. Raucament 129.
Solamen 243. Veramen 120. Verayament 250.
(2) Que je vous sois homme-lige, mains jointes, humblement.
Formen 243. Humilmen 178. Soptilmen 193.
(3) Eissament 115. Eissamen 118. Eyssamens 116.
(4) En breumen 246.
Deuxième division.
Adverbes dont la terminaison n' est pas spéciale.
Ces adverbes ont été formés,
1° Du latin, en suivant toujours ou presque toujours le systême des suppressions des désinences:
BEN de BENE. CLAR de CLARE. MAL de MALE. PAUC de PAUCE. TART de TARDE. Etc. etc.
2.° Par la langue romane même, qui les a appropriés à ses besoins.
Bais bas. Petit peu.
Pron assez. Trop beaucoup, etc.
Troisième division.
Adjectifs employés neutralement en forme d' adverbes.
Com GEN fui per vos honratz. (1)
Bernard de Ventadour: Conort era.
Les précédentes citations ont souvent offert l' exemple de cet emploi des adjectifs en forme adverbiale.
Ils prennent même des prépositions:
EN ESCUR vauc com per tenebras. (2)
Folquet de Marseille: Senher Dieu.
Quatrième division.
Adverbes employés substantivement.
J' ai dit que ces adverbes furent susceptibles de devenir sujets ou régimes, et que parfois ils reçurent l' article qui s' attache aux substantifs, et sert à les distinguer.
Sujet. Que MAIS ni meins no i cove. (3)
Bernard de Ventadour: Conort era.
(1) Comme gentement fus par vous honoré.
(2) En obscur vais comme par ténèbres.
(3) Que plus ni moins n' y convient.
Régime.
Qu' er trobaretz tot LO MAIS de las gens
Que si menton, ni s ne volon celar. (1)
Guillaume Anelier: El nom de Dieu.
E don m' en un bais d' estrena,
E, segon servizi, 'L MAIS. (2)
Arnaud de Marueil: Bel m' es quan.
E pus en joi vuelh revertir,
Ben dey, si puesc, AL MIELS anar. (3)
Comte de Poitiers: Mout jauzens.
"Venc l' un vais l' autre, ALH PUS TOST que poc. (4)
Philomena, fol. 72.
Ans que la mort me sobrevengua,
Quan non poiria menar la lengua;
Car penedensa DEL ADONCX
No val a l' arma quatre joncx. (5)
Folquet de Marseille: Senher Dieu.
E sol que cor aia de mi membransa,
DEL PLUS serai atendenz e sofrire. (6)
Hugues Brunel: Cortesamen.
(1) Qu' à-présent trouverez tout le plus des gens
Qui ainsi mentent, et s' en veulent celer.
(2) Et donne m' en un baiser d' étrenne,
Et, selon le service, le plus.
(3) Et puisqu' en joie veux retourner,
Bien dois, si puis, au mieux aller.
(4) Vint l' un vers l' autre, au plutôt que put.
(5) Avant que la mort me survienne,
Quand ne pourrais mener la langue;
Car pénitence de l' alors
Ne vaut à l' âme quatre joncs.
(6) Et seulement que coeur ait de moi remembrance,
Du plus serai attendant et souffrant.
Régime.
Mas car vos sai conoiser e chausir
Per la meillor, et AB MAIS de beltat. (1)
Arnaud de Marueil: Si m destreignetz.
Cinquième division.
Locutions adverbiales.
La langue romane se servit de différentes locutions adverbiales; on a eu occasion d' en remarquer plusieurs dans les diverses citations qui précèdent: (2)
Tant esteram rescondut a RESCOS,
Tro 'ls lauzengiers agron mortz los gelos. (3)
Pons de Capdueil: Per joy d' amor.
L' explication de ces locutions appartient spécialement au dictionnaire de la langue.
(1) Mais parce que vous sais connaître et choisir
Pour la meilleure, et avec plus de beauté.
(2) AL MEU SEMBLAN, à mon avis 115.
MON ESCIEN, à mon escient 317.
AL MIEU VIVEN, pendant ma vie 174.
MAL MON GRAT, malgré moi 383.
(3) Tant serions celés à cachette,
Jusqu' à ce que les médisants eussent tué les jaloux.
Prépositions.
J' ai précédemment indiqué les principales prépositions de la langue romane. On a vu que souvent elles se formaient d' un adverbe, sur-tout par l' adjonction d' une particule qui leur imprimait le caractère et la fonction de prépositions; on a vu aussi qu' elles devenaient adverbes à leur tour, lorsqu' elles étaient employées sans régime; et enfin qu' elles devenaient aussi conjonctions, quand elles étaient suivies d' un signe ou d' une particule qui leur permettait de servir de lien entre les membres de la phrase, ou entre les phrases mêmes.
Dans la langue latine, les prépositions transmettaient toujours une action sur le substantif ou sur le nom employé substantivement, soumis à leur régime, en un mot, sur le nom qu' en langage grammatical on appelle Conséquent; le cas de ce régime était autre que le nominatif: de même les formes de la langue romane ont en général assujéti le substantif ou le nom employé substantivement, après une préposition, à prendre le signe qui exprime et caractérise le régime.
Il serait superflu d' indiquer des exemples; dans les citations déja faites, on aura reconnu qu' après les prépositions, les noms qu' elles gouvernent prennent toujours les caractères et les signes qui appartiennent aux régimes.
La langue romane, à l' exemple de la langue latine, a souvent adjoint à ses verbes, et même aux substantifs et adjectifs, une préposition antécédente, qui quelquefois se confondait avec ces noms, et d' autres fois y était seulement adhérente, mais sans les soumettre eux-mêmes comme régimes; car alors ces prépositions devenaient en quelque sorte des adverbes.
Il est même à remarquer que la préposition incorporée ou adhérente n' empêchait pas soit le substantif, soit le nom qui en faisait la fonction, de prendre le signe du sujet ou celui du régime.
En voici des exemples:
Sujet.
E s' ieu en re mesprenc el dir,
SOBRETEMERS me fai failhir. (1)
Arnaud de Marueil: A guisa de.
Régime.
Sols suy qui sai lo SOBRAFAN que m sortz
Al cor, d' amor sofren per SOBRAMAR. (2)
Arnaud Daniel: Sols suy qui.
Ben sai que, per SOBREVALER,
Dei far miels so qu' ai en talan. (3)
Pons de Capdueil: Ben sai.
(1) Et si je en rien me méprends au dire,
Sur-craindre me fait faillir.
(2) Seul suis qui sais le sur-chagrin qui me surgit
Au coeur, d' amour souffrant pour sur-aimer.
(3) Bien sais que, pour sur-valoir,
Dois faire mieux ce qu' ai en desir.
Conjonctions.
Presque toutes les conjonctions romanes furent formées par l' adjonction du QUE indéclinable.
Ce que j' ai dit de l' origine ou de la dérivation des principales conjonctions romanes, me paraît suffisant.
On se souviendra que souvent le QUE est sous-entendu. Je présenterai seulement quelques détails relatifs aux particules conjonctives et disjonctives.
Particules conjonctives.
ET, E, NI, et.
La langue romane adopta ET, conjonction latine; mais au-devant des mots qui commencent par des consonnes, le T final fut ordinairement supprimé:
Temutz era E mot prezats. (1)
La Vida de San Alexi.
Cel que fetz l' air, E cel, E terr', E mar,
E caut, E freg, E vent, E pluei', E tro,
Vol qu' el sieu guit passem mar tug li pro,
Sicom guidet Melchior E Gaspar. (2)
(N. E. No aparece Baltasar.)
Rambaud de Vaqueiras: Aras pot hom.
NI signifia à-la-fois et et ni, mais eut plus souvent la première acception que la seconde.
Je ne l' examine à-présent que sous la première acception.
Dans cette première acception, il n' y a jamais de négation dans la phrase:
Quar ieu sai don venc NI on vauc. (3)
Trad. du Nouv. Testament: Johan. c. 8, v. 14.
Vas qualque part qu' ieu an, NI m vuelf, NI m vire. (4)
Arnaud de Marueil: Aissi com selh.
Si m' estessetz a razon,
Bona dona, NI a dreg. (5)
Rambaud de Vaqueiras, Guerras ni platz.
(1) Craint était et moult prisé.
(2) Celui qui fit l' air, et ciel, et terre, et mer,
Et chaud, et froid, et vent, et pluie, et tonnerre,
Veut qu' à sa guide passions mer tous les preux,
Ainsi comme guida Melchior et Gaspar.
(3) “Car je sais d' où viens et où vais.”
(4) Vers quelque part que je vais, et me tourne, et me vire.
(5) Si me fussiez à raison,
Bonne dame, et à droit.
OU, o, ou.
Cette conjonction fut formée d' AUT latin, qui, après la suppression du T eut le son d' O, ainsi qu' AURUM eut celui d' OR. AU fut aussi écrit et prononcé OU.
“Qui las te tod, ou las te tola... Comuniras OU cumunir me faras." (1) Actes de 960. MS. de Colbert.
“Que a dreit aura OU a merce.” (2)
Acte de 1063. Pr. de l' Hist. de Languedoc t. II, col. 247.
So laissas per mal, O per be,
Per ira, O per joi, O per que. (3)
Bernard de Ventadour: Peirols com avez.
Particules disjonctives.
NE, NI, ni.
NEC latin produisit d' abord NE, et ensuite NI romans.
“NE nus s' en recreira ne recredent no 'n sera.” (4) Actes de 960. Ms. de Colbert.
Davan son vis nulz om no s pot celar;
NE eps li omne qui sun ultra la mar. (5) Poeme sur Boece.
(1) "Qui les te prend, on les te prenne... Avertiras ou avertir me feras."
(2) "Qui à droit aura ou à merci."
(3) Cela laissez pour mal, ou pour bien,
Pour tristesse, ou pour joie, ou pour quoi.
(4) "Ni nul s' en lassera ni lassé n' en sera."
(5) Devant son visage nul homme ne se peut celer;
Ni même les hommes qui sont outre la mer.
E paratges no i des, ren NE i tolgues. (1)
Rambaud d' Orange: Aissi com selh.
Al seu voler no m vuelh ieu defendre,
NE enves lieis de nulha re contendre. (2)
Rambaud d' Orange: Si de trobar.
J' examine à-présent NI dans sa seconde acception; il est a remarquer que lorsqu' il signifie ne, et non et, il y a dans la phrase la négation NON:
Non avent macula NI ruga. (3)
Doctrine des Vaudois.
Car non ai loc de vos vezer,
Joi NI deport non puesc aver. (4)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
No sui alegres, NI iratz;
No sui estrayns, NI privatz. (5)
Comte de Poitiers: Farai un vers.
E ancmais non auzim dir
NI per meravilhas comtar. (6)
Bernard de Ventadour: En abril.
(1) Et paratge n' y donnât, rien ni y ôtât.
(2) A son vouloir ne me veux je défendre,
Ni envers elle de nulle chose disputer.
(3) N' ayant macule ni ride.
(4) Parce que n' ai lieu de vous voir,
Joie ni amusement ne puis avoir.
(5) Ne suis alègre, ni triste;
Ne suis étrange, ni familier.
(6) Et oncques mais n' ouïmes dire
Ni pour merveilles conter.
SI NON, sinon.
SI NON, venant du latin, fut employé de deux manières dans la langue romane.
La première, en conservant rapprochés les deux éléments SI et NON; et alors si fut immédiatement suivi de NON:
Una domna am finamen
Que m dis que no m' amaria,
C' amic a don no s partria,
SINON per aital coven. (1)
Gaucelm Faidit: N' Ugo de la Bachalayria.
La seconde, en les séparant; mais SI fut toujours placé le premier:
Non ho dic mia per gap, SI per ver NON. (2)
Richard Ier, Roi d' Angleterre: Ja nuls hom.
Tant es mortals lo danz que no i a sospeisson
Que jamais si revenha, s' en aital guisa NON,
Qu' om li traga lo cor, e qu' en manjo 'l baron
Que vivon descorat; pois auran de cor pron. (3)
Sordel: Planher vuelh.
(1) Une dame aime purement
Qui me dit que ne m' aimerait,
Vû qu' ami a dont ne se séparerait,
Sinon par tel accord.
(2) Non cela dis mie par raillerie, si pour vrai non.
(3) Tant es mortel le dommage que n' y a soupçon
Que jamais se répare, si en telle guise non,
Qu'on lui tire le cœur, et qu' en mangent les barons
Qui vivent découragés; et puis auront de cœur assez.
Particules explétives.
A la négation NON la langue romane joignit souvent des particules explétives, qui augmentèrent la force même de la négation.
Ainsi RES, GAIRE, GES, MIA, PAS, remplirent cette fonction.
RES, signifiant chose:
Nuls homs ses amor REN NON vau. (1)
Bernard de Ventadour: Ges de chantar.
Ja REN NON dirai. (2)
Arnaud de Marueil: Aissi com selh.
GAIRE, dont il a été parlé précédemment, forma, dans le même sens que RES, une particule explétive jointe à NON, et signifiant grand chose, beaucoup:
Ma NO us cal del mieu dan GUAIRE. (3)
Rambaud d' Orange: Amicx.
GES vint de Gens, personne, aucun.
On trouve GENS dans le poëme sur Boece:
Ella s fen sorda; GENS a lui NON atend. (4)
NO m mogui GES. (5)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
(1) Nul homme sans amour chose ne vaut.
(2) Jamais chose ne dirai.
(3) Mais ne vous chaut de mon dam grand-chose.
(4) Elle se feint sourde; aucunement à lui ne fait attention.
(5) Ne me remuai aucunement.
GES NO l' aus mostrar ma dolor.
Arnaud de Marueil: A guisa de fin.
Quar mon cor forsa d' amar lai
On sai be qu' amatz NO sui GES. (2)
Arnaud de Marueil: Cui que fin' amors.
MICA, MIA, MINGA, mie, point, furent les modifications de MICA latin, miette.
On trouve MICA, MIGA dans le Poëme sur Boece.
Pero no desesper MIA. (3)
Bernard de Ventadour: En abril quan vei.
E datz m' en un, Sordel, qu' ieu no 'n ai MIA. (4)
Blacasset: Er cinq en podetz.
Del tot mi sui viratz,
Totz enicx e forsatz,
A so que no m plai MIA. (5)
Bertrand d' Alamanon: Lo segle m' es.
E conosc ben
Que no 'lh dey mostrar MINGUA
Vas lieis mo mal talen. (6)
Sail de Scola: Gran esfortz.
(1) Aucunement ne lui ose montrer ma douleur.
(2) Car mon coeur force d' aimer là
Où sais bien qu' aime ne suis aucunement.
(3) Pourtant ne désespère mie.
(4) Et donnez m' en un, Sordel, vû que je n' en ai mie.
(5) Entièrement me suis tourné,
Tout contraint et forcé,
A ce qui ne me plaît mie.
(6) Et connais bien
Que ne lui dois montrer mie
Vers elle ma male volonté.
No portaras MINGA l' enfant. (1)
Roman de Jaufre.
PAS, pas, point, particule explétive venant de PASSUS latin:
Car aquel que ha entendament po pensar entre si
Qu' el NO s' es PAS forma, ni li autre asi...
E vol mudar la lei que devant avia dona;
El NO la muda PAS qu' il fos abandona,
Ma la renovelha qu' il fos melh garda. (2)
La Nobla Leyçon.
Sofrir m' er la pen' e 'l afan
Totz temps, NON PAS dos jorns ni tres. (3)
Peyrols: Eu non laudarai.
D' aisso No us sai PAS esmenda. (4)
Pons de la Garde: Mandar m' es.
Que sols N' en anaretz vos PAS. (5)
Roman de Jaufre.
(1) Ne porteras mie l' enfant.
(2) Car celui qui a entendement peut penser entre soi
Qu' il ne s' est pas formé, ni les autres aussi...
Et veut changer la loi que devant avait donnée,
Il ne la change pas afin qu' elle fût abandonnée,
Mais la renouvelle afin qu' elle fût mieux gardée.
(3) Souffrir me sera la peine et le chagrin
Toujours, non pas deux jours ni trois.
(4) De ceci ne vous sais pas excuse.
(5) Que seul n' en irez vous pas.
Interjections, exclamations.
La langue romane eut aussi de ces particules indéclinables, et employées dans un sens absolu, qu'on nomme interjections, exclamations, et qui servent à exprimer les sentiments de surprise, de douleur, d' admiration, etc. Il suffit d' indiquer les plus ordinaires:
AI, ah! qui vint peut-être du grec *aï et *ai.
AI! quantas bonas chansos
E quants bons vers aurai fag! (1)
Bernard de Ventadour: Ai! quantas.
AI! cal vos vi, e cal vos vei! (2)
Bernard de Ventadour: Era non ai.
LAS, venant de LASSUS, malheureux, produisit ensuite AILAS, HALAS! las, hélas!
LAS! e donc que m farai? (3)
Blacas: Lo bels douz temps.
AILAS! caitiu, que sabras dire? (4)
Pons de Capdueil: Ben sai que.
AILAS! perque viu lonjamen ni dura
Cel que totz jorns ve creisser sa dolor? (5)
Aimeri de Bellinoi: Ailas! per que.
HALAS! quant cuiava saber
D' amor, e quant petit en sai! (6)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
(1) Ah! combien bonnes chansons
Et combien bons vers aurai fait.
(2) Ah! quel vous vis, et quel vous vois!
(3) Las! et donc quoi je ferai?
(4) Hélas! pourquoi vit longuement et dure
Celui qui tous jours voit croître sa douleur?
(6) Hélas! combien cuidais savoir
D' amour et combien peu en sais!
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